A-t-on le droit aujourd’hui de ne plus s’intéresser aux news, ni break, ni fake. Ni rien. Aucune nouvelle. Blanc absolu. Batterie à plat. Mode pause. Pas de courant. Pas de serveur, encore moins d’algorithme. Rien. Se retrouver avec soi-même et les gens qu’on salue à la main ?
A-t-on le droit de ne plus s’intéresser aux autres ? Ni à leurs vœux, ni à leurs blagues ? Encore moins à leurs envolées lyriques, chimériques ou pathétiques. Ne plus aimer personne. Ne plus distribuer des cœurs à la ronde, à la volée, à l’emporte-pièce, mais garder le sien au chaud pour ceux qui nous le font sauter de joie. Pouvons-nous encore pleurer seul en silence dans ses draps, ressentir de la passion et décider d’agir sans en aviser nos centaines de followers, nos suiveurs et tous ceux qui nous laissent tomber dès que nous ne sommes plus un avatar ?
Pourrons-nous ré-ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure, sur ceux qui vivent, respirent et transpirent tout près de nous ? Eteindre nos téléphones, rabattre nos écrans, oublier les applications et sortir marcher pour voir du monde, écouter une histoire et rencontrer quelqu’un pour de vrai ?
Pourrons-nous encore agir sans réseau, s’aimer sans Tinder, conter en faisant la grosse voix, se rejeter à la renverse de rire, manger un plat sans qu’Insta ne soit au courant, vivre un grand moment sans en faire une « story », lire l’appréciation dans les yeux de celui à qui on raconte son « profil » et se regarder seul dans un miroir sans penser diffuser son selfie ?
Quand allons-nous taper du pied et ne plus accepter d’être une marque, une brand, un créateur de contenu ? Avoir le droit de n’être ni « creator », ni « communicator » ? Ne plus accepter d’être l’objet de voyeurs silencieux, d’être monnayé par des « cookies » vampiriques ? Refuser d’être un numéro dans la liste des abonnés à la poursuite d’audience, un influenceur affamé de chiffres dans son décompte de la taille de sa « communauté » ?
Avons-nous encore le privilège de refuser tout ça ?
Plus prosaïquement, pouvons-nous contester l’exigence d’avoir un soi numérique et encore plus l’exigence d’avoir une empreinte numérique pour tout simplement exister ?
Avons-nous encore le droit de réclamer ce qu’anthropologiquement nous sommes ? Une personne de chair et d’os qui vit avec ses tripes, ses angoisses, ses rêveries et qui ne réalise rien, ne montre rien, ne statue rien, ne rapporte rien, ne crée rien, mais juste se contente d’être ?
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