Le sculpteur libanais Raffi Tokatlian expose ses dernières œuvres à la galerie Connaissance des arts, à Saifi Village jusqu'au 15 janvier. ‘The black destiny for mankind’ se compose de neuf sculptures qui associent le bois, le béton, la résine et le bronze ainsi que quatre tableaux grands formats qui sont autant d'hommages à la nature et d'appels à la résistance face aux grands bouleversements écologiques et environnementaux du monde contemporain. Rencontre avec un artiste engagé, dont l'œuvre a voyagé dans le monde entier, de Venise à New York en passant par Moscou, et qui voit ses sculptures comme des "messagers".
Quand avez-vous commencé à travailler sur ces nouvelles sculptures ?
Il y a six mois. J'ai commencé par ramasser des souches d'arbres, une trentaine, puis j'en ai choisi huit que j'ai utilisées pour mes sculptures. Là où j'ai l'habitude de randonner depuis quarante ans, au Kesrouan, 80 % de la forêt a été détruite. Certains arbres que j'utilise pour mes sculptures étaient déjà morts, mais la plupart étaient en pleine santé et ont été abattus par des bulldozers dans une logique de déforestation. C'est de là qu'est née l'idée de ‘The black destiny for mankind’. Je suis né dans la nature, je ne fais qu'un avec elle. Et quand je vois ce qu'ils font d'elle, je suis révolté. A chaque fois que je me promène en montagne, j'entends le bruit des arbres que l'on coupe.
C'est la première fois que vous utilisez ce mélange de béton et de bois dans vos sculptures. Le béton et le bois se superposent de moins en moins aujourd'hui, le premier se substituant au second.
Oui, c'est la première fois. Pour cette exposition, j'ai voulu utiliser à la fois le bois, la résine, le bronze et le béton brut. Les buildings se construisent à la place des forêts aujourd'hui. J'essaye de ne pas opposer les deux, mais de montrer que ces deux formes, ces deux matières doivent cohabiter. C'est un problème qu'on voit au Liban mais qui est global et international.
On ne peut pas aller à l'encontre des constructions, mais cela doit être fait en préservant la nature. Le problème, c'est que la plupart des pays qui déclarent soutenir la lutte pour la préservation de l'environnement sont les premiers à le détruire. Les grands pays tiennent un double discours. Si vous prenez dix arbres pour construire un immeuble, il faut qu'il y en est trente de replanter. Au Liban, il existe une loi qui dit que lorsqu'on construit un immeuble, chaque arbre coupé doit être remplacé. Pour contourner cette loi, ils posent des arbres en pot devant les nouvelles habitations.
Votre exposition s'intitule ‘The black destiny for mankind’. Pensez-vous qu'il est déjà trop tard pour préserver la nature ?
Non, je pense que c'est maintenant qu'il faut agir. Nous sommes arrivés à un point de non-retour concernant les forêts mais aussi le problème d'accès à l'eau et la pollution. Mais il y a en effet une vision très sombre de ce vers quoi nous nous dirigeons. Pour moi ce sont plus que des sculptures, ce sont des messagers. Et un message se doit d'être vrai. Elles sont les retranscriptions de mon esprit, sans filtre et sans compromission. C'est la vision de l'humanité telle que je la voie. A travers cette exposition, j'aimerais transmettre l'idée que l'on ne peut pas continuer dans cette direction. L'une des sculptures par exemple représente un musée en verre, qui pourrait exister d'ici cent ans lorsque les forêts auront disparus. A l'intérieur de cet espace, des visiteurs admirent un arbre en suspension au-dessus de leurs têtes. Ils n'en ont jamais vu auparavant.
Etant donné votre implication pour l'environnement. Quel a été votre sentiment sur la crise des poubelles l'an passé ?
Je n'étais pas là pendant les manifestations, j'étais aux Etats-Unis. Cette crise des poubelles n'est qu'un petit aperçu de ce qui arrive globalement sur le plan international. Je pense que nous ne vivons pas dans un Etat proprement dit. Je suis allé dans les endroits les plus pauvres du monde : l'Ethiopie, le Cambodge, l'Inde, mais je n'ai jamais vu ça. Pour moi, il y a vraiment une mafia dans ce pays. Mais hélas, où sont passés tous ces gens qui manifestaient il y a quelques mois ? Le pouvoir de la mafia est plus fort que la volonté des gens. Les problèmes sont toujours là, rien n'a changé.
Vous vous définissiez vous-même comme un "surealmythoclassic". Aujourd'hui, comment percevez-vous vos dernières créations. Est-ce une nouvelle étape dans votre façon d'aborder l'art ?
Oui j'utilisais ce terme parce que j'avais une approche assez mythologique dans mes créations avec un côté surréaliste. Mais j'aime le changement, aujourd'hui je vois mes sculptures comme des messagers "overnatural". C'est quelque chose que l'on ne peut pas voir dans la nature. Si je devais le décrire, ce serait un endroit indistinct entre la nature et le surréalisme.
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