L'artiste présente sa première exposition solo au Liban, "Threshold", à la galerie Letitia jusqu'au 19 janvier. Il explore le rapport de pouvoir induit par le cadre dans le champ artistique et questionne les limites entre le visible et l'invisible.
L'entrée de la galerie Letitia laisse perplexe. Derrière la vitrine, des compositions abstraites et géométriques suspendues au plafond ou posées au sol tournent le dos à la rue. On a comme l'impression d'être entré dans l'espace d'exposition par la sortie. On s'excuserait presque, avant finalement d'oser traverser la galerie et de se retourner sur une autre perspective de l'exposition : des paysages en vue large ou rapprochés réalisés sur différents supports comme des blocs de marbre ou des plaques de zinc avec des techniques variées allant du monotype à la gravure. La galerie est séparée en deux par un cadre en ruban bleu qui vient donner une dimension supplémentaire à l'espace.
Artiste aux multiples casquettes, à la fois co-fondateur et directeur artistique de l'atelier Safar, éditeur du journal du même nom, cofondateur de la revue de bandes dessinées indépendante Samandal et membre du collectif Atfal Ahdath, Hatem Imam mène avec "Threshold", curaté par Amanda Abi Khalil, une réflexion théorique et visuelle autour de la notion du cadre dans le champ artistique. Une notion bien connue des philosophes, de Kant à Derida, qui interroge aussi les artistes contemporains qui en ont fait un objet artistique à part entière comme la plasticienne espagnole Esther Ferrer et son fameux «Cadre qui encadre cadre qui encadre cadre qui encadre cadre qui encadre cadre qui n'encadre rien» où l'on, au contraire, fait disparaître comme Malevitch l'un des pionniers de l'art abstrait, au début du siècle dernier.
Dans cette exposition réalisée in situ, Hatem Imam pose une question : l’œuvre existe-t-elle en dehors de son cadre aussi bien au sens matériel que théorique, c'est-à-dire le dispositif qui permet au spectateur de comprendre une œuvre. Il fait aussi de la galerie en tant que structure économique et symbolique un cadre virtuel, presque invisible qui implique un rapport de force et de pouvoir bien réel qui conditionne notre façon de percevoir une œuvre et exclut ceux qui ne sont pas capables de l'apprécier. « De la même façon que l'ouverture d'un appareil photo, ou d'une fenêtre avec vue, la galerie est un dispositif d'encadrement réalisé par l'homme à travers lequel nous voyons le monde, ou cette partie du monde que l'on considère digne d’être vue », explique l'artiste dans le livret qui accompagne l'exposition.
On y trouve aussi une réflexion sur le paysage comme instrument de pouvoir à travers l'extrait du texte « imperial landscape » de l'historien de l'art WJT Mitchell pour qui « le paysage n'est pas un genre mais un medium ». Un medium qui tend à réduire un paysage illimité par nature aux bords d'un cadre dont l'artiste fixe lui-même les limites. La vision de Mitchell fait aussi écho à celle de Hatem Imam sur le visible et l'invisible : « Le paysage est une scène naturelle dont la culture assure la médiation. Il est à la fois un signifié et un signifiant, un cadre et son contenu, à la fois un endroit réel et son simulacre ».
Le travail d'Hatem Imam sera discuté au musée Sursock vendredi 30 novembre, de 18 à 19h30, autour des réflexions des artiste Daniele Genadry, Hassan Zahreddine et Ahmad Ghossein.
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