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17 octobre 2020, un an…

17/10/2020|Gisèle Kayata Eid, Montréal

J’aurais aimé lui écrire une lettre d’amour. Comme celles qu’il m’inspirait depuis toujours. Lui dire qu’il est beau malgré ses faiblesses, qu’il est brillant, vif, chaleureux. Je lui aurais dit qu’il me manque. Que je rêve de lui. Que je ne peux lui résister. Que je lui efface tous ses égarements pourvu qu’il m’accueille malgré l’absence et les jours qui s’étirent loin de lui. 

J’aurais aimé lui dire que j’ai mal beaucoup, profondément et de plus en plus désespérément. Lui dire que ses plaies béantes sont les miennes. Que son souvenir éventré, ensanglanté, bafoué me taraude et que la distance n’y fait rien. Lui dire mon ressentiment face aux injures qu’il subit... 

Mais mes larmes ont tari pour laisser place à l’amertume sèche et douloureuse.

Je voudrais lui demander pardon d’être loin. Pardon de ne pas tout lâcher pour le rejoindre. Je voudrais le consoler. Lui rappeler que son histoire est celle de beaucoup d’autres comme lui, violé, exploité et irrémédiablement blessé. Je voudrais lui écrire de belles odes comme je le faisais encore il y a à peine un an… 

Mais la tournure des évènements a dévasté ma pensée. 

Je voudrais le soutenir, le porter dans mon cœur, le rassurer que ce n’était qu’un cauchemar, que Covid finira par le lâcher, que la guerre sera du passé, que les affronts qui s’acharnent contre lui se retourneront contre ceux qui les lui infligent. Je voudrais espérer avec lui qu’il sera à nouveau riche, beau, prospère, heureux de vivre et de communiquer son éclat à tous ceux qui l’approchent… 

Mais plus le temps passe, plus je suis déçue et désillusionnée. 

Je voudrais lui dire que mon amour est toujours aussi fort. Qu’il me hante. Qu’à mes yeux il est toujours le plus méritant, l’étoile vers laquelle je tends, l’infini dans lequel j’aime me perdre. 

Je voudrais lui dire tant de choses. Le serrer contre moi et lui chanter des chansons douces. Le défendre contre les charognards qui s’acharnent encore sur son cadavre…Je voudrais lui dire qu’on se retrouvera amants de toujours, contre et envers tous… 

Mais je ne peux plus. Quelque chose s’est cassé en moi. 

Je suis avec une poignée d’irréductibles comme moi, encore fous d’amour, enfouis sous terre, avec une lucarne qui les fait rêver à cette immensité qu’ils ont connue. Tous les autres discutent encore. Se disputent. Ils ont investi les places pour mieux se les partager, au lieu de les réunir. Ils ont scandé leurs slogans au lieu d’agir. Ils se sont contentés de vœux pieux personnels au lieu de regarder dans la même direction. Ils ont détruit ce en quoi cette poignée d’irréductibles comme moi rêvaient. À vouloir encore et encore une part du gâteau, ils l’ont empoisonné. Ils ont laissé passer la chance d’imposer une souveraineté populaire, 

En ce premier anniversaire d’une révolution avortée, d’une révolution que j’écrivais avec un grand R, je leur en veux d’avoir étouffé cette chance, cette promesse, cette espace de rêve sur le point de devenir réalité. Ils ont laissé filer ce Liban qu’ils tenaient entre les mains. Ils ont montré après douze mois de louvoiement que, malheureusement, c’était eux le Liban et que nous n’étions qu’une poignée d’irréductibles à s’accrocher. 

Mais tant qu’il y aura cette poignée d’irréductibles et une pépinière d’irréductibles en puissance, tout peut être encore récupéré. Et ça je peux le lui dire. 

 

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