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Said Ghazal : « Le personnage de Vincent, c’est moi »

14/07/2021|Julia Mokdad

Comment et pourquoi avez-vous entrepris la rédaction de ce livre ?

Votre question a du poids. Il est excessivement difficile de résister à la secousse psychique qu’on appelle prosaïquement inspiration. Alors, on se met à table de la même manière qu’on s’étend sur un divan pour faire émerger nos craintes, nos inhibitions, faire sortir du placard des squelettes longtemps enfermés. 

Ecrire est un acte de guerre cathartique envers soi-même à l’issue duquel le seul gagnant est le lecteur. On écrit à nos risques et périls pour se dédouaner du fait de notre existence dont les hauts nous espérons seraient vertigineux et les bas pourraient s’avérer calamiteux. 

Mon enfance talonnée de près par mon adolescence a notoirement agi comme de l’huile de coude à la rédaction de ce roman. Flaubert avait dit que Bovary c’était lui, et pauvre de moi, je confirme que Vincent c’est moi. 

 

A travers une histoire d’amour, quelle thématique abordez-vous dans ce livre ? 

Ma mémoire a donné un coup de collier à mon passé à travers une histoire d’amour abâtardie qui se retrouve dans une impasse indétournable comme si on amenait de l’eau à la mer. La rencontre de Vincent avec Nour à la librairie prend feu comme salpêtre. Vincent fait des mains et des pieds pour crocheter le cœur de Nour à la manière d’une serrure alors que Nour est tiraillée entre sa passion pour l’art, sa défense pour une cause juste et son amour inavoué pour Vincent, sinon à demi-mot. 

 

Vous ancrez le livre dans le contexte de la guerre du Liban, est-ce une stratégie pour dépeindre la situation actuelle ?

La corrélation entre la guerre libanaise et la situation actuelle trouve involontairement sa perpétuité dans la dégénérescence sociétale dans laquelle nous pataugeons. Le continuum de la déchéance de l’état reproduit son écho en sourdine à travers l’histoire. 

J’ai quitté le Liban en novembre 1976 et depuis ce départ forcé il y a arrêt sur image. Je suis de nature passéiste et spleenesque. Car je considère que la mémoire est une prostituée et que le passé est son proxénète qui la tient à l’œil. J’ai eu recours au contexte de la guerre, dont la mémoire collective est profondément enracinée dans l’inconscient de ma génération, afin de pouvoir l’exorciser, d’être en mesure enfin de la sortir du cul-de-basse-fosse de la nostalgie qui me mine et me ronge de l’intérieur. La relation amoureuse entre Vincent et Nour est un transfert psychologique de la mort de part et d’autre, une mort banalisée en quelque sorte. Comme on vit aux crochets de notre passé, Vincent vit aux crochets d’un présent barbouillé de sang, de tueries, de cessez-le-feu violé. Il est à tu et à toi avec la mort qui l’entoure, l’assiège et l’interpelle. Il est conscient que dès que nous venons au monde, nous sommes déjà condamnés à mourir. 

 

Comment définissez-vous ce livre : est-ce un simple roman, un ouvrage historique, politique ? A-t-il une dimension autobiographique ?

Ce roman s’encadre dans ce que Serge Bukowski appelait de l’autofiction. Le roman se veut un melting-pot du regard de l’observateur engagé vis-à-vis de la guerre libanaise, des conditions sociales des gens démunis et de la classe laborieuse, la rébellion contre l’establishment et l’impossible amour entre Vincent et Nour qui revêt une dimension gravement dramatique. Comme disait Brel : on raconte toujours nos échecs. Et les miens s’inscrivent dans le fait d’avoir manqué le coche de tenir une arme pour défendre mon pays. Cette faillite, cette couardise, je la transfère sur Vincent dans l’attachement acharné qu’il voue à Nour qu’il ne parvient à protéger comme si elle représentait à elle seule le Liban. Il cherche à la sauver d’elle-même et à travers elle, lui-même.

 

Le livre est en vente à la librairie Antoine. 

 

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