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L'identité́ littéraire libanaise de Sélim Nassib

25/01/2023|Georgia Makhlouf

Mardi 17 janvier a eu lieu la remise officielle du Prix France-Liban 2022 à Sélim Nassib pour son roman « Le tumulte » paru aux Éditions de l’Olivier. La cérémonie s’est déroulée à l’Ambassade du Liban à Paris en présence de Mr Rami Adwan, l’ambassadeur du Liban, des membres du jury présidé par Mme Georgia Makhlouf, d’une représentante de la Fondation Boghossian, mécène du Prix, de Mr Amin Maalouf et de très nombreux journalistes, acteurs du monde culturel et amis du lauréat. Une cérémonie chaleureuse et émouvante de l’avis de tous. Nous reproduisons ici des extraits du discours du lauréat. 

 

L’autre soir, en arrivant à l’ambassade du Liban, j’ai tout de suite eu envie de m’enfuir. Tous ces gens bien habillés, ces ors, ces drapeaux libanais… ce n’était sûrement pas pour moi. Et pourtant si. Aussi invraisemblable que ça puisse (me) paraître, ce beau monde se pressait pour me voir recevoir le Prix France-Liban de l’ADELF (Association des écrivains de langue française) pour Le tumulte (éditions de L’Olivier). La fiction était parfaite. Grâce au jury qui m’avait décerné le prix, j’avais gagné une nationalité libanaise particulière, la nationalité littéraire. 

Je ne pouvais en espérer de plus belle. Après de très longues années, presque une vie entière, j’avais l’impression d’avoir enfin une place reconnue sur la carte de ce pays où je suis né, une place gagnée non en raison de mon lieu de naissance (un droit du sol en quelque sorte) mais grâce à une fiction, l’œuvre de fiction que j’avais écrite, ce tumulte qui m’habite et que j’avais enfin pu sortir de moi.

J’avoue que jusque-là, j’avais cru que le prix France-Liban couronnait une œuvre consensuelle, ce genre d’œuvre presque « officielle » qui arrondit les angles et ne fâche personne. J’ai été d’autant plus surpris, et fier, de me le voir attribué. Car on peut difficilement qualifier mon roman de consensuel, il n’arrondit aucun angle. Son personnage principal, Youssef, parle à visage découvert et se présente tel qu’il est – et c’est tel qu’il est qu’il reçoit ce prix. Il ne cache rien de son appartenance à la communauté juive libanaise, ni son fantasme d’ambiguïté sexuelle, son engagement politique à l’extrême-gauche, l’héroïne qu’il prend pour résister à la peur au plus fort de la guerre. Il critique aussi bien Israël et le Hezbollah et poursuit inlassablement, sans vraiment le savoir, un objectif précis. 

Quel objectif ? C’est seulement après avoir fini d’écrire le livre qu’il m’est apparu : ce qui pousse Youssef de bout en bout, ce que ses tripes lui dictent, c’est le refus obstiné d’être assigné à sa condition d’origine, son identité de naissance.

(…)

On aurait pu retrouver Youssef aujourd’hui, constatant que le repli identitaire féroce et meurtrier ne concerne plus seulement le Liban mais la planète entière, des suprémacistes blancs de Trump aux fascistes brésiliens de Bolsonaro, à l’extrême-droite israélienne alliée de Netanyahou, à l’Inde de Modi qui ne se veut plus qu’hindouiste, sans parler des malheureux Rohingya musulmans pourchassés par l’armée birmane ou des différentes variétés de l’islamisme sanguinaire. 

Entre-temps, Youssef aurait par exemple essayé de mener une vie tranquille à Paris, mais son imaginaire, les articles, les romans qu’il écrit tournent toujours autour de l’Orient. « Beyrouth te suivra jusqu’à ton dernier souffle, où que tu sois », comme l’écrit le journaliste libanais Georges Boustany. Pour Youssef, pour moi, cette phrase n’exprime pas tant une nostalgie pour le pays d’enfance qu’une addiction vénéneuse à cette ville impossible à quitter.

Mais au Liban une nouvelle génération est apparue, une société civile remarquablement vivante, écrivains, journalistes, cinéastes, artistes, citoyens ordinaires… Et cette jeunesse est soudain descendue dans la rue pour vomir ces chefs miliciens reconvertis, corrompus et corrupteurs, « tous ça veut dire tous », qui ont investi l’appareil d’État et conduit le Liban à sa ruine. 

Si le roman avait rebondi, Youssef aurait immédiatement pris l’avion pour Beyrouth, avec sa femme et sa fille, pour s’émerveiller de cette renaissance inespérée. Car le vieux rêve qu’il avait cru enterré, celui d’un état juste appartenant à tous ses citoyens, a effectivement refait surface, contre toute attente. Comme si les idées qu’il avait défendues avaient voyagé sous terre pour ressurgir miraculeusement au grand jour, des décennies plus tard. 

Depuis, je sais, le soulèvement a été étouffé, beaucoup de jeunes Libanais ont émigré, et les responsables de l’explosion qui a détruit la moitié de la ville de Beyrouth courent toujours… Mais ce n’est pas fini pour autant. Les idées continuent de cheminer sous terre – et personne ne sait quand elles sauteront de nouveau au visage de tous. 

Tenez. Les révoltes des printemps arabes ont été vaincues en apparence, tout comme la thawra libanaise, les soulèvements sans chef du Chili ou de Hong Kong, sans parler de l’écrasement sanglant de la révolte populaire dans la malheureuse Syrie voisine. 

Il y aurait vraiment de quoi se décourager.

Pourtant, un nouvel et formidable soulèvement a soudain éclaté contre l’un des régimes les plus fermés, des plus inquisiteurs et des plus sanguinaires de la Terre, le régime des mollahs iraniens ! Une révolte menée par une jeunesse prodigieuse, femmes et jeunes filles en particulier, se cabrant avec un incroyable courage, au péril de leur vie, pour arriver enfin à vivre libres ! Vous voyez, c’est loin d’être fini. Car l’être humain est un animal difficile à réduire en esclavage pour toujours.

 

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