ArticlesEvénements
Aujourd'huiCette semaineCe weekend

Pour ne rien manquer de l'actualité culturelle, abonnez-vous à notre newsletter

Retour

Partager sur

single_article

Les arts et la culture au Liban : Arts de la scène

25/03/2022|Emma Moschkowitz

Vous pouvez téléchargez ci-dessous la publication complète en français et en anglais
Téléchargez le document ICI
Download the document HERE

 

 

Selon la classification de l’Unesco, les Arts de la Scène (ou Arts du Spectacle) correspondent aux théâtres, aux festivals et aux performances. Ci-dessous seront analysés l’état des arts vivants que sont le théâtre, la danse et le cirque au Liban depuis le début des crises sanitaires, économiques et politiques jusqu’à fin 2021.

 

CONDITIONS DE CRÉATION ET DE PRODUCTION

Au début des années 2000, la danse contemporaine était quasi inexistante de la production scénique libanaise : les danseurs n’étaient pas professionnellement formés, il n’existait pas de studios ou de troupes actives et aucune possibilité de financement extérieur. Aujourd’hui, et notamment grâce à la création de l’association Maqamat en 2002 et de son festival BIPOD deux ans plus tard, cet art s’est fortement développé. Des écoles de danse se sont créées (il n’existe toutefois toujours pas de formation universitaire en danse), des organisations internationales se sont intéressées aux initiatives artistiques qui émergeaient, et des instances de soutien et de coopération entre artistes se sont soudées. Toutefois, les crises successives de ces dernières années ont considérablement ébranlé les acteurs de la danse. Beaucoup de danseurs sont partis s’installer à l’étranger, et notamment la nouvelle génération.

 

Si le théâtre est bien ancré sur la scène libanaise depuis des décennies, la production de pièces de théâtre est aujourd’hui entravée par les coûts très élevés demandés pour la location des salles et le transport des comédiens, auxquels il faut ajouter les frais liés à la mise en scène et aux costumes ainsi que les coûts liés à l’exploitation d’une œuvre.

Ces frais ne peuvent plus être pris en charge par les metteurs en scène, qui, pour continuer leurs activités font face à trois choix :

● Soit ils s’orientent vers une économie de décors et de mise en scène, s’entourent d’une équipe réduite et produisent alors une pièce minimaliste et potentiellement facilement itinérante (dans des salles traditionnelles, en plein-air, dans des espaces à louer, etc.) ;

● Soit le metteur en scène est rattaché à une structure (comme Zoukak, Hammana Artist House, Tyro, etc.) qui lui permet de se produire dans un cadre auparavant construit (une salle, du matériel, etc.) et bénéficient de partenariats déjà contractés avec des associations et instances internationales ;

● Soit il entreprend une coopération avec une instance (une ONG, une université, etc.) désireuse de monter un projet théâtral dans le cadre de ses activités.

 

Toutes ces configurations ne peuvent toutefois pas être économiquement rentables, les financements qui sont alloués permettent simplement d’assumer les frais liés à la création.

 

Egalement, beaucoup de comédiens ont également été obligés de quitter le pays, du fait de la crise financière, ce qui pose un réel questionnement quant au renouvellement et à la modernisation de l’offre théâtrale au Liban. En outre, l’absence de formation professionnelle pour les techniciens (ingénieur du son, ingénieur lumière, régisseur, costumier, etc.) au Liban a entraîné une rareté des personnes agréées à ces métiers, nuisant alors à la qualité de la production finale.

>> Zoukak, fondée en 2017, s’attache à offrir aux artistes des espaces de création et de diffusion de leurs œuvres. Zoukak est également une compagnie de théâtre qui produit ses propres pièces, propose des interventions psychologiques autour de la pratique de l’art dramatique auprès des populations marginalisées, organise un festival, des workshops et des conférences (Zoukak Sidewalks) et publie des études. Soutenu par l’Institut français, Zoukak a lancé l’initiative Focus Liban, permettant à des artistes résidents au Liban de bénéficier de subventions pour présenter leur travail à des curateurs internationaux et à des directeurs de festivals ainsi qu’au public libanais. 

 

CONDITIONS DE PROGRAMMATION ET DE DIFFUSION
Les périodes de confinement répétées ainsi que les restrictions sanitaires ont mis à mal un secteur qui s’est construit autour de son rapport au public. Malgré la reprise récente des activités, rares sont les représentations qui ont lieu au Liban, notamment à cause des raisons financières évoquées ci-dessus. Les quelques productions qui arrivent à être jouées ne le sont que très peu de temps et n’arrivent pas à attirer assez l’attention pour drainer les foules.
A l’inverse, la diffusion de spectacles sur Internet s’est fortement accrue depuis 2020, et représente aussi une solution pour les troupes pour ne pas avoir à louer une salle pour chaque soirée de représentation. C’est aussi la possibilité d’espérer une plus importante visibilité, sans limite géographique.

 

Alors que le Liban accueillait de nombreuses pièces de théâtre produites à l’étranger auparavant, les dépenses liées à la venue d’une troupe étrangère sont désormais trop importantes pour espérer pouvoir faire se jouer un spectacle avec des acteurs qu’il faut faire voyager, loger et une mise en scène qu’il faut accueillir dans un lieu. Tous ces frais, demandés en dollars, ne peuvent plus être internalisés par aucune instance libanaise.

 

PUBLICS
Il existe 18 théâtres au Liban. Si la plupart sont situés dans les différents quartiers de Beyrouth et de sa périphérie, il y en a également un à Jounieh (Théâtre Athénée), un à Hammana (Hammana Artist House), un à Saida (Ishbilia), et un à Tyr (Lebanese National Theatre). Toutefois, les arts du spectacle sont souvent considérés comme un art “réservé aux élites”, car onéreux, parfois abscons, et rares sont les troupes qui exportent leurs productions en dehors des grandes salles beyrouthines. Un important travail de démocratisation est donc à entreprendre, en faveur des régions et de leurs populations. A cet effet, Kassem Istanbouli a par exemple réhabilité un cinéma à Tyr pour en faire une salle de théâtre accessible à tous, où, grâce à l’aide de l’Unesco et des instances internationales, représentations et ateliers sont proposés gratuitement. Pareillement, l’initiative Urban Circus International, de Seanna Kaleesa, s’inscrit dans un objectif de popularisation des arts circassiens à travers le pays.

 

Les restrictions liées au Covid ont entraîné une fermeture des salles de spectacle pendant presque deux ans, et même après leur réouverture, l’on observe une timidité de la part d’un public apeuré par la crise sanitaire mondiale, notamment chez les plus de quarante ans, généralement habitués à se rendre au théâtre. La crise économique qui s’y est ajoutée a rendu impossible la tenue de sorties scolaires au théâtre, tandis que les jeunes générations n’ont plus les moyens d’acheter des tickets.

 

MODÈLES ÉCONOMIQUES

Alors que le secteur reposait essentiellement sur la vente de tickets lors des représentations (à titre d’exemple, BIPOD, de la compagnie Maqamat, était financé à hauteur de 35% par le box office), la crise économique a renversé ce schéma : il est tout à fait irréalisable de proposer des spectacles payants, le public n’étant pas en capacité de payer. Toutefois, et concernant l’ensemble de la production artistique, la gratuité totale de l’offre événementielle peut aussi représenter une entrave à la promotion de la culture, en ce qu’elle invisibilise la quantité et la qualité du travail réalisé qui mériterait légitimement d’être rémunérée. Il faut alors envisager des tarifs qui permettraient de convenir à la fois au faible pouvoir d’achat du public et à la valeur que représente le travail des acteurs du spectacle vivant.

 

Pour pouvoir subvenir à leurs besoins, les acteurs du secteur organisent des ateliers et workshops ou enseignent leur discipline, ce qui leur permet de s’assurer une rémunération fixe (bien que sujette aux fluctuations de la livre). Les compagnies, pour financer leurs projets, se tournent vers les aides internationales, parmi lesquelles celles d’AFAC, de Al Mawred el Thaqafi ou bien des institutions diplomatiques. La précarité du secteur mène les troupes et metteurs en scène à candidater à un appel à projet en amont de leur création. Ils sont alors soumis à des conditions, des politiques et des critères bien particuliers qui peuvent entraver leurs souhaits. Également, ces soutiens, tout important qu’ils soient, répondent à des logiques associatives de soutiens sociaux et sociétaux et aux agendas “politiques” des bailleurs de fonds, jusqu’à en oublier parfois la valeur créatrice en tant que telle. Également, ce système ne permet pas aux acteurs du secteur de pérenniser leurs activités : à chaque début de projet, ils recommencent à auditionner et à faire valoir leurs travaux à de nouveaux comités qui sont seuls à pouvoir déterminer de leur éligibilité ou non. Il n’existe aujourd’hui pas d’instance en charge de la médiation entre les organismes de financement et les artistes.

 

CONCLUSION SECTORIELLE

Après analyse du secteur, il est possible de déterminer les problématiques suivantes :

●  Outre l’enseignement du théâtre, il n’existe pas de formation universitaire en danse ou en arts du cirque au Liban. Il n’existe pas non plus de formation pour les techniciens ;

● Le départ de nombreux comédiens, danseurs et techniciens constitue auforte dépendance jourd’hui une entrave à la pérennité du secteur ;

● La création d’un spectacle nécessite des fonds en dollar (pour la location d’une salle, la création des décors, etc.) qu’il est difficile d’acquérir pour les compagnies libanaises. Les troupes qui continuent à se produire le font sans bénéfice ;

● Un travail de démocratisation et de décentralisation de l’offre reste à faire. Ces objectifs doivent toutefois s’inscrire dans une gratuité totale, au vu de la situation économique des populations visées ; 

● La crise du Covid a entraîné une fermeture des salles pendant deux ans, et même après leur réouverture, le public reste timide ;

● La (quasi-)gratuité, bien qu’elle soit nécessaire, et la forte dépendance envers les ONG et autres bailleurs de fonds ne permettent pas aux acteurs du secteur de pérenniser leurs activités et dévalorise aussi la valeur artistique et professionnelle des concernés ;

● Il est aujourd’hui inenvisageable de financer la venue de productions étrangères dans les salles libanaises, à cause de coûts trop importants.

 

 

En partenariat avec la Robert Matta Foundation


 

thumbnail-0

ARTICLES SIMILAIRES

Depuis 1994, l’Agenda Culturel est la source d’information culturelle au Liban.

© 2024 Agenda Culturel. Tous droits réservés.

Conçu et développé parN IDEA

robert matta logo