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BEYROUTH BY DAY : KHODR

21/10/2020|Tania Hadjithomas Mehanna

La Quarantaine. C’est sous cette dénomination qu’est plus communément connue cette région que le découpage de la ville a pourtant appelé Khodr. Vert, l’espoir, le renouveau, des termes qui désignent saint Georges, le saint patron de Beyrouth qui a même donné son nom à la mosquée du quartier. Mais, Khodr ou Quarantaine, peu importe le nom, le lieu est mythique. Les impératifs d’une restructuration imminente et nécessaire du quartier empêchent le retour des anciens habitants. Le dépotoir peine à ne pas se faire remarquer, l’abattoir fait son sinistre travail et les odeurs sont là, omniprésentes, des odeurs de mort et d’ordures. Le décor lunaire qui se détache avec les maisons éventrées, les terrains vagues, l’hôpital gouvernemental et la colère des habitants rappellent que la Quarantaine a vu et vécu bien des souffrances. Mais cet endroit chargé fascine également et, galeries et boîtes de nuits, espaces artistiques et bureaux se sont approprié cet espace de ville comme pour exorciser le sort. 

 

De l’autre côté du pont, derrière les arbres, se cache la mosquée Khodr. Et la légende est belle et tenace. Saint-Georges, que la tradition nomme protecteur de la ville, aurait mené son combat contre le dragon sur les rives même du fleuve de Beyrouth. Surgi de l’enfer et apparaissant à travers un puits, un dragon terrorisait les habitants de la ville et imposait sa loi. Le monstre exigea un jour qu’on livrât à son appétit démesuré la fille du roi. La malheureuse princesse allait être dévorée quand surgit un vaillant guerrier, Georges, prince de Cappadoce. Le jeune homme lutta des heures durant avec le dragon et son courage et sa force finirent par triompher des forces du mal. Il délivra la ville de Beyrouth du monstre et depuis les habitants lui vouent un véritable culte. Ils élevèrent sur le lieu présumé du combat une chapelle où, raconte-t-on, une colonne en marbre déposée par sainte Hélène avait des pouvoirs miraculeux. Depuis 1661, la chapelle est devenue la mosquée al Khodr. Et la légende est rattrapée par l’histoire. Le 20 janvier 1928, le comte de Mesnul du Buisson, historien et archéologue, affirme avoir situé à Beyrouth le lieu du combat de saint Georges et du dragon non loin de Nahr Beyrouth et à côté de la mosquée Khodr. 

 

Jadis, les pèlerins au retour de leur voyage, les visiteurs attirés par la renommée commerciale de Beyrouth, les miséreux échoués là un peu par hasard et même les navires en route vers l’Afrique faisaient une escale forcée dans le lazaret institué par les services sanitaires de la ville en 1841, de peur que des épidémies de peste, de choléra et de variole n’envahissent la capitale. Les services de la Quarantaine furent repris en 1919 par les mandataires français en lieu et place des services de l’administration sanitaire ottomane. Aujourd’hui, c’est l’hôpital gouvernemental qui se tient là, gris et décrépi. Rita Harb y travaille depuis dix ans comme infirmière : « Oui, c’est vrai, l’hôpital a besoin de réaménagement mais il y a de bons médecins et des équipements corrects. Les malades sont bien traités et nous accueillons même ceux qui ne peuvent pas payer. La responsable est Sœur Aline Azzi et nous sommes tous, les vingt employés, comme une grande famille. »

 

Le voile sous lequel les femmes de la Quarantaine dissimulent leurs cheveux nous attire vers le quartier des arab el maslakh – Arabes de l’abbatoir situés plus à l’intérieur. Ces Libanais avant tout qui revendiquent haut et fort leur identité ne sont pas nombreux à être revenus dans leur maison. Exhibant un passeport rouge frappé d’un cèdre, Hayat Aouad a la voix qui tremble d’émotion : « Je suis libanaise. Je suis née ici, dans cette rue. Le quartier était à nous. Personne ne sait attraper et tuer les moutons comme le font nos époux et nos fils. Nous avons repris nos maisons mais dans quel état ? Nous sommes partis de force en 1976 et nous avons perdu beaucoup de nos hommes. Nous avions des maisons en briques et en pierre, nous n’habitions pas dans des camps. » 

Devant sa boutique, Hajjé Saada trie ses légumes. « On a repris nos maisons, c’est vrai, mais on n’a ni électricité ni eau. En plus une grande autoroute est prévue là et nous allons tous devoir partir. »

 

Totalement prise de court par l’afflux de réfugiés arméniens, l’administration mandataire secondée par des organismes de charité comme la YMCA, le Near East Relief, la Croix-Rouge ou les pères jésuites, s’occupent de les reloger dans des baraquements de fortune construits à la hâte. La Quarantaine est le lieu choisi pour bâtir un « camp de recasement ». La plupart des Arméniens, intelligents et débrouillards, s’installent de l’autre côté du fleuve et trouvent rapidement du travail. Mais les plus malchanceux restés à la Quarantaine ne savent probablement pas que leur calvaire est loin d’être terminé. Rejoints par d’autres réfugiés kurdes ou d’autres minorités, ils subiront de 1920 à 1975 un nombre élevé d’incendies qui, à chaque fois, détruisent le peu de choses qui leur reste. À chaque nouveau coup du destin, comme submergés par la fatalité, les réfugiés reviennent, reconstruisent inlassablement leurs baraques misérables dans ce camp maudit qui s’étendait là où aujourd’hui s’élève le Forum de Beyrouth. Durant des jours sombres de la guerre civile est rasée définitivement et non sans victimes ce qu’on appelait la cité des ténékés

 

 

 

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