Elle est Française. Mais depuis 40 ans, elle vit au Liban. Ses enfants sont repartis vers son pays d’origine là où réside encore toute sa famille. Elle est demeurée avec leur père, sur sa terre, contre vents et marées. Elle y a fait une carrière. S’est investie dans des causes et a cru au Liban.
Et elle y croit encore.
Je lui racontais que j’étais très préoccupée en pensant à mon Liban qui avait connu une année meurtrière : l’étouffement criminel de la révolution du 17 octobre, l’apnée du coronavirus, et puis maintenant la descente aux enfers orchestrée qui ravive toutes les douleurs passées, présentes et nous laisse inquiets, décharnés, abusés, dans le silence complice des nations.
Elle me répondit : « Non, moi je gère. Il y a toujours dans le Liban que tu connais cette même soif de vivre, une solidarité à toute épreuve, un courage puisé dans les jours noirs de notre vécu : l’obscurité totale pendant des mois sans électricité, l’eau chauffée dans les marmites pour laver les gosses, les files à la boulangerie, les frigos vides par peur de sortir pour nous approvisionner, les stations-service fermées, les nuits d’épouvante à essayer de compter jusqu’à 40 pour savoir si la salve des 40 obus allait nous anéantir ou pas. On a connu des semaines, des mois, des années d’attente, les enfants sans école, les jeunes sans travail, les bateaux du départ torpillés, les aéroports fermés…
Rappelle-toi, ce n’était pas amusant. Mais on a tenu le coup. Et nous sommes encore là. Les gens font du tourisme local, redécouvrent les montagnes, achètent auprès des agriculteurs, confectionnent des confitures, préparent à la maison de simples gâteaux d’anniversaire et fêtent avec tous ceux de la famille qui sont encore là. On chante, on souffle les bougies, on est heureux de se retrouver et on oublie les infos l’espace d’un après-midi volé au temps, l’espace d’un déjeuner partagé alors que le soleil brille, que le ciel bleu est éclatant comme jamais, que la mer se profile au loin, immuable. Non, crois-moi, les gens sont beaucoup plus courageux que tu ne le penses. Ils organisent des signatures-bénéfices, des chaînes alimentaires et même ce concert extraordinaire diffusé sur les chaînes internationales et comme arraché au désespoir … Tu as bien vu, leur magnifique résilience. Et puis, il y a leurs familles à l’étranger qui les soutiennent. Ils savent qu’ils ne sont pas seuls, que Dieu ne les abandonnera pas. Ils y croient et ça les aide à se lever, faire leurs petites choses et continuer à rester debout, à cueillir le peu de coriandre qui a poussé sur leur balcon, à arroser ce carré de terre à l’entrée de la maison, à s’enquérir de la voisine, à prendre le café au WhatsApp avec l’autre bout du monde.
Et moi, si loin, qui ne manque de rien qui comptais lui remonter le moral ! C’est en fait elle qui m’encourageait.
- Et puis ?
- Et puis, me dit la Française, c’est ce qu’on appelle la Résistance.
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