L’écriture à la vertu consolatrice, l’écriture qui aide à alléger le tourment mais aussi « J’écris pour ne pas me suicider » disait Duras. L’écriture peut-elle vraiment sauver la vie ?
Absolument, l’écriture peut être salvatrice bien que paradoxalement, beaucoup d’écrivains se soient suicidés. Souvent, le dernier acte de quelqu’un qui va mourir, c’est d’écrire (un otage, un prisonnier etc.). Pour certains l’écriture est une accroche à la vie. Pour d’autres, l’introspection pourrait rendre fou, mais dans les ateliers thérapeutiques, le thérapeute est justement vigilant et quand il sent un danger, il intervient. L’écriture dans le cadre des ateliers thérapeutiques a certainement aidé et même sauvé de nombreuses personnes.
L’écriture est-elle une médiation ?
On peut parler de médiation artistique ou de thérapie. Ici, on ne vise pas l’esthétique, les ateliers d’écriture thérapeutique n’ont pas pour but de produire une œuvre littéraire qui sera publiée, mais visent une thérapie dont la médiation est l’art. Cela pourrait être la peinture, la musique, la poésie. Un média entre soi et l’autre ou entre soi et soi.
Vous parlez de l’importance de la main dans l’écriture. Quel rôle joue-t-elle dans ce processus créatif ?
J’y accorde une grande d’importance. La main joue un rôle essentiel et comme dit Pascal Quignard « les mots que l’on prononce ne sont pas ceux que l’on écrit ». Ecrire à la main requiert une certaine position, on voit son écriture qui n’appartient qu’à soi, comme une empreinte digitale. D’ailleurs des études ont montré que le cerveau avait une activité différente lors d’un travail d’écriture à la main. Elle engage la mémoire, ainsi les étudiants qui prennent des notes à la main retiennent mieux que ceux qui se servent de l’ordinateur. Dans mes ateliers, je demande que l’écriture se fasse à la main, Me rendre un texte écrit à la main me semble beaucoup plus intime qu’un texte tapé à l’ordinateur qui est impersonnel. Au niveau créatif l’écriture à la main cela veut dire pétrir les mots, les raturer y revenir éventuellement mais pas les supprimer.
Vous dites que la contrainte est une porte ouverte à l’imaginaire et plus la contrainte est complexe plus l’écrit sera fécond. Comment cela ?
Quand j’ai essayé une séance d’écriture libre, sans contrainte, ce fut la pire séance ! Les patients sont sécurisés par la contrainte. Ils rajoutent parfois une contrainte à la contrainte ! Ils la ressentent comme une fortification ou un bouclier pour leurs émotions. Et puis il y a la dimension ludique des règles du jeu. N’oublions pas que nous sommes en atelier d’écriture thérapeutique et non littéraire. La contrainte est un cadre rassurant.
Vous donnez dans l’ouvrage des consignes très précises pour aborder un atelier d’écriture. Cela veut-il dire que l’on peut le faire seul sans l’aide d’un thérapeute ?
C’est le but de l’ouvrage. Initier à l’atelier d’écriture thérapeutique et voir si le lecteur a envie d’aller plus loin, dans un atelier littéraire par exemple ou si l’écriture ramène à un souvenir douloureux, ce qui peut l’amener à consulter. Donner envie d’écrire, de lire et de relire, et que cela reste un bien-être.
Vous faites un passionnant parallèle entre écriture et peinture, entre poésie et thérapie et vous êtes vous-même poète. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Tous les arts se retrouvent dans cette idée de médiation que nous évoquions plus haut. Quant à la poésie, elle permet la liberté de penser et d’un point de vue plus pragmatique, elle permet des séances courtes. Les patients ne sont pas là pour écrire un roman ou une pièce de théâtre, mais pour exprimer leurs émotions par le biais de l’écriture. Et la poésie est un excellent vecteur pour cela.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, qui est un abécédaire de certains de vos auteurs favoris, vous dites « écrire sur ceux que j’aime lire ». Vous vous fixez des règles que vous transgressez joyeusement (les auteurs suicidés, les auteurs vivants…) et l’on sent dans ces vingt-six textes une profonde joie d’écrire, allant jusqu’à la jubilation. Vous vous êtes beaucoup amusée à les écrire ?
Le bonheur que j’ai eu à écrire transparaît donc ! Cette deuxième partie était comme un jeu pour moi. Je me suis mise des contraintes que j’ai parfois transgressées allègrement, et cela m’a permis de me replonger dans les auteurs que j’aime, leur écriture, leurs archives, leurs manuscrits, leurs interviews etc.
En lisant certains auteurs peut-on comprendre le fonctionnement de l’être humain ?
De l’être humain en général, oui totalement, mais pas de l’auteur lui-même. D’ailleurs Fitzgerald disait que s’il n’y avait pas de littérature psychiatrique il suffirait de lire Hemingway et Freud disait exactement la même chose au sujet de Dostoïevski ! Mais au-delà de la connaissance de l’individu, la littérature a aussi une dimension sociologique extrêmement importante.
Que faut-il vous souhaiter ?
De pouvoir continuer à publier de la poésie en toute liberté.
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