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Michel Onfray en conférence au Liban : « La révolution en voulant tout changer ne change rien. Par contre les réformes profondes peuvent être supérieures à la révolution. »

27/02/2020|Gisèle Kayata Eid

La salle Montaigne était remplie à craquer. Francophiles, francophones, intellectuels, professeurs, étudiants se sont pressés pour écouter le philosophe français, auteur très prolifique et très controversé, invité de l’Institut culturel français et qui a subjugué son public par des thèmes au cœur même de leurs préoccupations : révolution, révolte, réformes, laïcité, etc.

 

Le créateur de « L’Université nomade » a lancé son intervention en s’appuyant sur l’exemple de la Révolution française pour développer son idée. En l’espace de quelques minutes il a brossé plusieurs siècles d’Histoire, citant des dizaines de penseurs, philosophes, politologues pour prouver que plusieurs causes sont à la base des mouvements populaires : les misères, la faim, la souffrance. « Une goutte d’eau, comme une mauvaise récolte, peut faire déborder le vase et provoquer une révolte. Personne n’a dit ouvertement : on va prendre la Bastille. Mais dans les salons, les intellectuels parlent de Voltaire, de Montesquieu et les gens entendent, même les domestiques. Les idées circulent dans les journaux, les ouvrages, etc… Quand on met de la poudre partout, on doit s’attendre à une explosion ». Un révolté est quelqu’un qui dit non.  Un tas de choses se passent par la suite : le roi s’en va, on le décapite, c’est la terreur, le gouvernement révolutionnaire… 

 

L’intervention du brillant orateur qu’on aurait pu imaginer purement philosophique se développe dans une vision historique, culturelle, globale qui durant deux heures et demie a fait écho aux questionnements de l’audience. Il remet notamment les pendules à l’heure sur les grands principes révolutionnaires et la pédale douce face aux mouvements contestataires.  « La Révolution ne s’est pas faite pour le fameux slogan « égalité, liberté, fraternité » mais parce qu’en 1792, ce qu’on a appelé les « enragés » ont déclamé : « on s’en moque du passage de la monarchie à la république, nous on a faim... La Révolution a laissé les gens dans le même état.  Ils ont changé le clergé et la noblesse pour les bourgeois qui sont devenus des parvenus. Les pauvres, les « sans grades » ont simplement changé de maître. »

 

Son discours est simple et direct. Pour Onfray, les différentes Républiques n’ont rien changé pour le peuple. Pétain en 1944, le départ de Charles de Gaule en 1968, le capitalisme florissant, le socialisme, le communisme, les Bolcheviks qui prennent le pouvoir en 1917, Lénine qui est obsédé par la Révolution française… L’Histoire continue de s’écrire mais on est toujours dans la même logique. Les mouvements de l’Histoire sont ceux de la lutte des classes. 

 

Très attendue, son explication de ce qui différencie révolte et révolution s’exprime en quelques mots. Les révoltes finalisées se transforment en révolution« La révolte est une étincelle qui mène à la Révolution qui, elle, opère un changement. Si la révolte est un moment négateur, la révolution est un moment de prise de décision. La révolte est une révolution qui s’annonce et la révolution est une révolte qui a abouti. Elle peut être brutale, légère, radicale, mais elle demande de toujours changer quelque chose. Cela peut être une, deux, dix choses ou même tout.Si c’est une clé de voûte qu’on réclame de changer, tout tombe. Rendre un régime laïc est une réforme radicale, comme celle du communisme qui a fait table rase dans les années 20. » 

Et de reconnaître que souvent il n’y a pas de changement sans un travail de sape, de destruction. « La Révolution c’est souvent quand il y a du sang qui coule. Il y a le retour de la bête car le sang appelle le sang. »

Pourtant Onfray qui adopte la logique de Camus que « rien ne justifie la mort d’un homme », relève judicieusement que « La révolution en voulant tout changer ne change rien.  Par contre les réformes profondes peuvent être supérieures à la révolution. Comme celle sur le statut de la femme. » Sa grande érudition scanne les grands penseurs et les hommes qui ont fait l’histoire pour avancer ses arguments : « Si nous n’y faisons pas attention le pouvoir revient sous la forme de captation par les professionnels de la révolution. C’est ce qui s’est passé avec Mao, Staline, Mitterrand.  Quand les Soviets ont pris le pouvoir, c’est la dictature du parti qui a régné. Quand on a abattu Saddam Hussein, le pouvoir qui l’a remplacé n’a pas mieux agi que lui. »  S’appuyant sur le roman d’Orwell, La ferme des animaux, Onfray conclut : « On refait toujours comme ceux qu’on a évincé » et d’ajouter, suite à Auguste Comte : « ce qui servait à détruire ne peut pas servir à construire. »

 

Pour ne pas tomber dans le piège que Napoléon décrivait : « Dans une révolution, il y a deux sortes de personnes : ceux qui la font et ceux qui en profitent », Onfray offre plusieurs pistes de réflexion. 

 

À propos de l’anarchie il distingue : celle du bourgeois qui met le feu partout; celle théorique (de Hegel) pour qui le peuple est un concept qui attend un jour meilleur; et enfin celle qu’il considère positive, celle de Proudhon qui demande aux patrons de comprendre qu’il faut payer à sa juste valeur la force de travail et pour qui,  la mutualisation (les banques populaires) sont la vraie révolution, sans décapitation des patrons ou des entreprises ou des talents.« Plus l’État est grand plus il est ingouvernable »(Rousseau). Il faut donc aller plutôt vers de petites entités : les communes.  Un gouvernement de fédération, de façon à pouvoir retirer un mandat à quelqu’un dès que cela ne va pas. Les mandats doivent être prêtés. » 

 

Concernant les mouvements de désobéissance civile, Onfray s’appuie sur le Discours de La servitude volontaire de La Boétie pour expliquer comment les gens obéissent. Et d’ajouter : « Et s’il y a des goulags c’est parce qu’il y a des informateurs. C’est nous, les agents de ce pouvoir. Si vous boycottez des produits et vous vous soutenez dans ce boycott, le pouvoir tombe.  Le pouvoir est un colosse aux pieds d’argile. Mais il ne faut pas être seul. Il faut s’organiser. La désobéissance civile, c’est la force des faibles s’ils savent s’organiser. »

 

Quant à la question de savoir comment promouvoir l’esprit de la révolution.  En prenant exemple sur son expérience quand il a créé en 2002 l’Université nomade, loin des universités établies pour justement garder la parole libre, le conférencier préconise, dans la foulée, et en réponse aux questions du public, la nécessité de : 

  • Se fédérer
  • Multiplier les réunions dans le but de synthétiser les idées.  Mettre à contribution une « assemblée » de gens compétents. « Le génie sort toujours des assemblées. S’adresser à l’intelligence (les médias généralement s’adressent à la bêtise). Voir et savoir ce qui est pratique, c’est l’aspect positif de l’intelligence. Il faut juste le vouloir. »
  • Repenser concrètement les philosophes car ils proposent des solutions. Relire ce que disent les grands penseurs sur la notion de souveraineté et d’autorité : Hobbes, Rousseau, comprendre ce qu’est le « contrat social » établi pour protéger les gens en renonçant au pouvoir de nuire, la fonction du souverain… 
  • Favoriser le travail de philosophe pour savoir la nature, l’origine des problèmes.  Créer à ce propos des universités populaires pour penser ce qui advient, ce qui pourrait advenir et comment y arriver. Principe de la Constituante qui requiert notamment l’apport des médias et des femmes.
  • Organiser des débats sur la place de la Révolution. Toute la diaspora saura alors qu’il y a une pensée commune qui existe. 
  • Savoir ce que l’on veut, aller chercher des avis, des conseils, des explications sur tout (la monnaie par exemple), penser les finances, créer des banques alternatives. 
  • Ne pas attendre que la solution vienne d’en haut. Ne pas laisser la réalisation de notre projet aux autres. Ne pas attendre que le FMI nous règle nos problèmes, mais voir ce qu’on peut faire nous. Partir de la base. Prendre en main les droits des femmes, des homosexuels… 
  • Tabler sur les médias alternatifs : les inventer, créer une télé dédiée à la révolution, des supports papiers, des plateformes, pas sur Youtube et pas en concurrence avec les grands médias, mais penser à des médias de niche, très faciles à créer et qui ne coûtent rien. 
  • Étudier comment peut se passer la laïcité au Liban. La laïcité n’est pas l’athéisme et n’est pas nécessairement l’apanage des athées. Penser les religions sans animosité, s’entendre sur la vérité historique pour un athéisme ouvert qui suppose que la religion fasse partie du for intérieur, et que sur la place publique, on ne veut pas le savoir. La laïcité est un effort pour vivre ensemble.  Avoir le sens de l’intérêt général. Se dire que ce qui est important n’est pas ce qui nous sépare, mais ce qui nous unit. Penser que si on veut rater un réveillon, on parle des questions qui fâchent en famille. Dans le même ordre d’idée, il faut mettre la religion au deuxième plan. Ne pas faire de l’obsession identitaire religieuse, car ce qui fait une nation c’est le vouloir de faire une nation... 
  • Inviter au dialogue.  Comprendre comment fonctionne la laïcité et penser cette question à partir d’un corpus. 
  • Le Liban peut devenir un phare.Il faut juste fabriquer une communauté, une république : « Republica ».  Laisser tomber la religion. La théocratie ne peut pas s’accommoder avec la démocratie (qui d’ailleurs n’interdit pas la religion ou la foi).  S’il y a théocratie c’est sur soi qu’on doit pouvoir avoir le pouvoir. 
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