Mettre un masque ou ne pas en mettre. Se toucher ou ne pas se toucher. Le masque il y a encore un doute, le toucher, non, aucun. Ne pas se toucher. Alors on peut s’aimer en se regardant, avec les yeux sans gesticulation, seulement avec le regard. Plus on regarde, plus on le contemple sans vouloir s’en emparer d’emblée, plus on aimera l’objet de la contemplation, qu’il soit animé ou pas. Sauf que la main est l’extension du cœur. Avec elle on tend vers, avec elle on invoque, avec elle on se réconcilie, avec elle on caresse, avec elle on touche, on est touché, on soigne, on invite, avec elle on écrit, on dessine…
Elle est la partie la plus innervée du corps : 7200 terminaisons nerveuses. C’est avec elle qu’on sent le mieux. C’est avec elle que l’on fait, Homo Faber. Aristote disait de l’homme «c’est parce qu’il est le plus intelligent des êtresqu’il a des mains » et plus récemment le philosophe Charles Pépin : « c’est dans la relation à la matière que notre esprit révèle sa vérité ». C’est par la main que se fait la relation à la matière, c’est par elle que nous devenons des êtres agissants. Retrouver la main pour reprendre la main. Coronavirus nous a amputés de la main… en partie. De la main comme lien ; sans doute pour bien comprendre son importance. Les amants, les enfants, les guérisseurs, ils savent tous son importance ; ma main dans ta main, la main sur le cœur, les mains sur le crâne, haut les mains, etc… Jésus faisait ses miracles en apposant ses mains pour guérir, pour chasser les mauvais esprits... Il n’y aura pas de miracles cette fois-ci ; ou peut-être si, qui sait… il y a en tous cas un appel assourdissant, encore une fois, à la responsabilité individuelle, sociale, politique. Comme une prolongation de la révolution, de la crise économique, qui l’exigeaient déjà. Il serait tout de même temps de s’apercevoir qu’il y a un message à entendre, à voir dans tout ça, en filigrane - ce pourrait être plus utile que de ne rien y voir. Ainsi, il y aurait éventuellement quelque chose à faire, une page à écrire encore même si gauchement puisque sans main pour l’instant. A force, nous en retrouverons peut-être l’usage, le bon…
A chaque évènement fusent les théories, les désignations de coupables, les blâmes, les interprétations. Plutôt qu’une chasse aux sorcières, cette pandémie qui s’abat sur tout un chacun sans différenciation aucune, n’est-elle pas une invitation à désinfecter les surfaces métalliques qui chopent le coronavirus, à récurer toutes ces surface, creuses ou plates, où il fait son nid ? Et ensuite à « retrousser ses manches, et empoigner la vie à pleines mains et s'en mettre jusqu'aux coudes », tous ensemble pour avancer, pour explorer d’autres matières et d’’autres formes. Il n’y a pas une autre façon. « Pour dire oui, il faut suer et retrousser les manches, empoigner la vie à pleines mains et s'en mettre jusqu'aux coudes. C'est facile de dire non, même si on doit mourir. Il n'y a qu'à ne pas bouger et attendre. Attendre pour vivre, attendre même pour qu'on vous tue » crie Antigone qui a faim de vivre, qui étouffe de ne pas pouvoir le faire dans un faux ordre figé.
Le moment serait venu, plutôt que d’attendre comme nous savons si bien le faire dans ce pays, de se délester de ces surfaces métalliques froides… Vivons-nous le crépuscule de cet « iron age » qui a fait l’objet de nombreuses prédications ? C’est ce que nous voudrions bien croire. Quoi qu’il en soit et quelles que soit les dénominations, retrouver la main, le doigté, l’articulation, la paume, le derme au-delà du virtuel, du machinal, de la désarticulation, du post-moderne. Au-delà de l’intelligence artificielle, l’intelligence de la main, l’intelligence du cœur. Saurons-nous retrouvercet immense symbole de confiance qu’est la main, à l’aune de cette crise ? « Sur ta paume, j'ai pu lire que tu étais quelqu'un de bien » disait le poète.
« (…) étreindre une main, c'est tout donner, d'un coup, sans prudence, sans contrat, sans rien. Tenir la main, tous les enfants le savent, n'est pas seulement s'accrocher au passage : tenir ta main, c'est tenir à toi, tenir de toi. Et plus je serre, plus j'entrecroise nos doigts, les entrelace, plus je te dis mon incommensurable besoin, un besoin tel que ta paume me renseigne sur toi. Sur ta paume, j'ai pu lire que tu étais quelqu'un de bien ». Gilles Leroy, Dormir avec ceux qu’on aime
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