À partir d’une histoire d’amour entre une Turque et un Grec, à Chypre, aux alentours des années 70, avant que l’île ne soit scindée en deux, l’auteure de « Soufi mon amour » remonte le temps avec de nombreux flash-backs, glisse une histoire d’ado très contemporaine, personnifie un figuier, pour nous dire que la nature devrait être sacrée et que la guerre est ce qu’il y a de plus terrible.
Tout en douceur, comme elle avait inventé une histoire incroyable pour nous faire découvrir la beauté du soufisme, la jeune Turque qui vit à Londres a adopté la même démarche pour nous raconter tant de belles choses sur les arbres, la nature et toutes les petites créatures que nous côtoyons et qu’elle introduit savamment dans le texte : « … la perdrix Choukar… petite créature charmante, avec ses raies noires qui lui entourent le corps. Elle se perche sur les rochers et quand elle chante, ce sont des notes craintives, rêches, comme si elle apprenait pour la première fois à gazouiller… la perdrix Choukar, qui construit son nid des deux côtés de l’île, indifférente aux divisions… devient pour quelque temps un symbole approprié de l’unité. »
Un livre puissant qui dépasse les frontières et dont les propos semblent même comme être adressés aux Libanais : « Il faut que tu comprennes, quand un pays ou une île vit une épreuve atroce, un abîme s’ouvre entre ceux qui partent et ceux qui restent… Ils n’ont aucune idée de ce qu’ont subi ceux qui sont restés ». Mais aussi : « On ne tombe pas amoureux au milieu d’une guerre civile, quand on est cerné de toutes parts par le carnage et la haine. On prend ses jambes à son cou et on part aussi loin que peuvent vous porter vos craintes, cherchant simplement à survivre et rien d’autre. »
La passion de jeunesse émouvante et triste que Elif Shafak dédie « aux exilés de tous les pays, aux déracinés et aux arbres que nous avons laissés derrière nous, enracinés dans nos mémoires » est un véritable tour de passe-passe pour mettre dans la bouche des arbres, notamment un figuier, quasiment un personnage du roman, ses profondes réflexions à elle : « Les arbres éloignés et apparemment solitaires n’étaient pas aussi touchés que ceux qui vivaient ensemble dans une grande promiscuité... Aujourd’hui, je considère le fanatisme comme une maladie virale. Il avance en rampant… s’empare de vous plus vite si vous faites partie d’une unité fermée, homogène. »
Dans cet ouvrage de plus de 400 pages, l’auteure éclaire de sa plume très bien documentée le monde de la botanique avec son style foisonnant et généreux. On en apprend des choses. Mais la romancière qui a à son actif douze romans nous introduit avec sa fiction dans un monde magique où le merveilleux, le rêve, l’amour, le chagrin et l’imagination sont tissés autour des légendes, proverbes, superstitions et tous les contes de son Orient.
Après ce mois d’avril dédié à la Terre, une lecture qui vient nous chercher, nous faire réfléchir à l’année longue et frissonner d’émotion.
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