J'ai parcouru Beyrouth hier. J'avais besoin de savoir, de vérifier, si je l'aimais encore.
La boutique d'artisanat a réouvert. Michel, le vieil antiquaire plus vieux que ses antiquités, est toujours sur sa chaise, avec son français impeccable et son dentier qui part à l'Est. Les ruines romaines en bord de mer, du côté non détruit du silo, n'ont pas bougé. De temps en temps, parmi le béton, il y a la mer, là, pailletée de saletés et d'éclats de lumière. Et lorsqu'on s'éloigne des poubelles, les fleurs du printemps embaument la ville.
La ville qui vomit ses propres pierres; et les éclats de verre, les tôles déglinguées et les charpentes tordues. Entre un atelier de design, une écoboutique et un spa de luxe, on se croirait en Suède. Et partout, des échafaudages et des échafaudages, avec leur couverture de filets verts, comme autant d'échafauds dressés pour faire la nique à l'Histoire et à ses morsures.
Je me suis attablée dans un café. Une femme racontait son divorce, un groupe d'hommes riait, heureux, deux jeunes adolescentes mendiaient. Je n'ai pas fini de lire L'ivrogne dans la brousse, que j'avais dans mon sac. Je commençais à être ivre dans la ville.
Au retour, les bars étaient ouverts. Des rires, encore, des éclats de voix, des lampions. Les lumières sont douces. De la musique. Qui prend le corps, ramène aux années d'après-guerre, les 90', les 2006, 2007, aujourd'hui. Mes 20 années passées ici sont toutes des années d'après-guerre. La musique! Elle déclenche une envie de danser, d'embrasser, de faire l'amour. Non. Non pas la musique elle-même, mais celle qui sort du goudron de Beyrouth, qui me prend par les pieds et remonte dans le sexe et la tête. Cette ville est l'intime.
J'ai longtemps cru que la survie était une fuite en avant, un refus de se regarder en face. Mais hier j'ai compris, j'ai su, j'ai vérifié, que la survie, c'est pour repousser la mort, pour l'empêcher de rogner la vie qui reste. Et que le corps ravagé de la ville devait être aimé comme le corps d'un homme en lutte avec lui-même et le monde. Alors hier, j'ai renouvelé mon pacte d'amour et de tendresse avec Beyrouth.
(Photo: Hala Moughanie)
ARTICLES SIMILAIRES
Le Liban d’hier à demain par Nawaf Salam
Zeina Saleh Kayali
14/01/2025
Transit Tripoli : Un vibrant tangage
Maya Trad
19/06/2024
« The School of Life » ou le camp d’été transformatif
Nadine Fardon
19/06/2024
Annulation de la Première mondiale de "Journée de Noces chez les Cromagnons"
11/04/2024
Lecture 79 : Ketty Rouf, Mère absolument
Gisèle Kayata Eid
11/04/2024
Le voyageur
Olivier Ka
10/04/2024
Des écrans aux idéaux: Beirut International Women Film Festival
09/04/2024
L’univers onirique de Yolande Naufal à Chaos Art Gallery
09/04/2024
De miel et de lait, une histoire douceur du Liban
Garance Fontenette
09/04/2024
Claude et France Lemand Chevaliers de la Légion d’honneur
08/04/2024