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BEYROUTH BY DAY: Sioufi

19/05/2021|Tania Hadjithomas Mehanna

À quelques rues de l’agitation perpétuelle de la place Sassine, le quartier de Sioufi affiche un calme serein. En bordure de la ville, il descend sans se presser vers le bas de la colline qui était inondée de marguerites jaunes et d’herbes folles. Il y a encore des fleurs dans divers coins de Sioufi et les habitants, qui y faisaient autrefois pousser le blé, s’amusent aujourd’hui à cultiver des jardins suspendus qui embaument et le cœur et l’esprit. En attendant que les écoliers des nombreuses écoles du quartier déversent dans les rues leurs joyeux babils, les matinées s’écoulent tranquilles ; les sobhiyé, incontournables visites matinales, obéissent aux règles immuables de la politesse de voisinage et les petits commerces reçoivent leurs habitués. Dans les rues, les hommes s’adonnent au jeu de dames et demandent immanquablement des nouvelles de la famille proche et lointaine. Ils lèvent un sourcil intrigué quand on leur demande d’où vient le nom de leur quartier. Ils évoquent la famille Sioufi, propriétaire autrefois d’un grand nombre de terrains ici, ce n’est pas sûr, mais la certitude est une notion trop pointue pour ce quartier tout en courbes et en douceur. 

 

Le jardin de Sioufi occupe près de 20 000 mètres carrés de verdure. Bien entretenu, il abrite sur ses quatre niveaux en pente un olivier de plus de 500 ans, des mimosas en fleurs, des jacarandas flamboyants, des ficus, deux grands bassins avec fontaines, des espaces de jeux pour les enfants et parfois des expositions artistiques. Établi en 1970 par le Conseil des grands travaux de la ville de Beyrouth, il enchante les nombreux immeubles qui ont poussé tout autour comme un privilège. Vu de l’extérieur, sa large étendue est insoupçonnable comme s’il se faisait discret pour continuer à exister. Des chats altiers se promènent dans ses allées. Les oiseaux qui viennent s’y cacher construisent parfois leurs nids sur les terrasses des appartements pour le plus grand bonheur des riverains. 

 

Dans les villages comme dans les villes, les femmes libanaises ont pour habitude de se réunir en matinée dans la maison de l’une d’entre elles pour discuter de tout et de rien en buvant le café, en se lisant l’avenir dans le marc, en mangeant des pâtisseries et en fumant le narguilé. Les sobhiyé qui semblent n’être qu’une activité agréable pour tenter de combattre l’oisiveté sont en fait issues d’une tradition qui puise ses racines dans le terroir libanais. Autrefois, dans les campagnes, les femmes se réveillaient souvent avant même que le soleil ne montre le bout de ses rayons. C’est à elles que revenait la tâche de nourrir les bêtes, de s’occuper de la mouné et de veiller au bon déroulement des activités familiales. Ces mères et épouses laborieuses allaient dès l’aube moudre le blé, cuire le pain au four, ramener de l’eau de la fontaine et préparer les provisions que les hommes prenaient aux champs. Alors épuisées par un travail dur mais nécessaire, ces paysannes, une fois acquise la certitude du devoir bien fait, la conscience tranquille, s’accordaient une pause parfumée au café, parenthèse sucrée dans leur journée de labeur. Petite revanche sur leur situation quelque peu précaire de femmes soumises aux desiderata de leur époux, de leur belle-mère et aux aléas de la vie. C’est dans ces sobhiyé que s’étalaient les soucis et se résolvaient les problèmes. En général, ces réunions, ancêtres des thérapies de groupe, se terminaient lorsque les cloches de l’église sonnaient les douze coups de midi. 

 

Zakieh Waked a de la chance. Cette veuve de 82 ans habite seule une maison au bout d’une pente fleurie. Elle est très entourée. Les voisins veillent sur elle même si « parfois ils en font trop. Ils ne me laissent pas une seconde et s’inquiètent constamment pour moi. Même mes enfants ne sont pas aussi anxieux. Si je n’ouvre pas les volets à une heure précise le matin, tout le monde se précipite. Nous sommes une grande famille ici dans cette rue qui s’appelle Chareh el Ghazalieh. Nous sommes souvent les uns chez les autres. Voyez combien de tasses de cafés ont été servies chez moi depuis ce matin ! J’ai planté de mes mains le jardin en contrebas et tout le monde s’en occupe. J’aime travailler la terre. C’est pour cette raison que je suis encore alerte à mon âge. Je suis originaire de la région de Jezzine. Je suis « descendue » en ville il y a quarante-deux ans pour que mes enfants puissent aller dans une bonne école. Je suis satisfaite, ils ont tous de bons postes. Mais je continue d’aller tous les étés chez moi pour récolter dix kilos de thym que je fais sécher ».

 

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