L’histoire est inscrite dans chacune des rues de ce quartier qui enjambe l’avenue Fouad Chéhab. De magnifiques demeures témoignent de l’engouement que cette petite colline située tout près du centre de la ville a suscité dès la fin du XIXe siècle chez les riches négociants, les intellectuels et les étrangers. Mises sous les projecteurs grâce à l’association Majal qui y organise régulièrement des activités, les rues du quartier valent le détour et c’est à pied qu’il faut se promener. Derrière leurs murailles, les palais Ziadé et Heneiné, respectivement édifiés en 1860 et 1880, laissent deviner leur grande beauté. Abandonnés depuis les années 70, ils méritent pourtant de sortir de leur long sommeil. L’Orient Institute of Beirut est installé dans ce qui fut la maison Farjallah. La City International School occupe une maison somptueuse qui date de 1860 et la Librairie du Liban Publishers, ancienne imprimerie américaine, surprend par son architecture avant-gardiste en tôle.
À la fenêtre ronde de sa boulangerie arménienne, Koharik se réjouit de l’intérêt témoigné à son quartier. Elle exhibe fièrement le petit poster où se déclinent les activités de jour et de nuit qui vont animer les rues. Les spécialités arméniennes font saliver tous les habitués du Furn Ishkanian, ouvert depuis 1946, et qui a retrouvé la plupart de ses clients d’avant-guerre. Une fois dégustés tout droit sortis du four, le bon goût des lahm b’ajine, ou galettes à la viande, reste dans les papilles et Koharik avoue en préparer plus de cent par jour.
De l’autre côté du pont, le musée Moawad est ouvert aux visiteurs depuis 2005. L’ancienne demeure d’Henri Pharaon, édifiée en 1901 par son père Philippe, et rachetée en 1992 par Robert Moawad, a vu défiler des hommes d’État et des pans d’histoire. Construite dans le style néo-gothique, la villa est entourée d’un magnifique jardin dallé de marbre où se dressent colonnes antiques et statues anciennes. À l’intérieur, les collections inestimables d’Henri Pharaon se prêtent aux regards et, tapis de valeur, poteries islamiques, porcelaines de Chine, icônes melkites et byzantines, objets en terre cuite des époques phénicienne, perse, grecque et romaine côtoient des bijoux précieux et des livres anciens provenant de la bibliothèque de Camille Aboussouan et rassemblés par l’actuel maître des lieux.
Le Grand Sérail a donné son nom au quartier et se dresse sur la colline dans toute sa splendeur retrouvée. L’emplacement était stratégique pour qui voulait dominer la vieille ville mais les collines avoisinantes constituaient également des menaces pour toutes les forteresses érigées là au fil des occupations. Les Ottomans arasèrent le sommet de la colline et construisirent une caserne impériale en 1853. Des travaux d’agrandissement sont menés en 1877 et en 1894 et un nouvel étage est ajouté. La toiture en tuiles installée en 1899 donnera au bâtiment sa forme définitive. Entre temps, la caserne est devenue le lieu de résidence du gouverneur ottoman. La tour de l’horloge, commandée par le wali Rachid Bey, est bâtie en 1897. Haute de vingt-cinq mètres, elle compte cinq étages. Elle sera inaugurée en 1900 au cours des cérémonies fêtant l’anniversaire du couronnement du sultan Abdel Hamid II. Après la Grande Guerre, les autorités françaises installent le siège du haut-commissariat dans la caserne qui devient le Grand Sérail et abrite les services administratifs de la France ainsi que l’état-major de l’armée du Levant. En 1946, le gouvernement libanais prend en charge le Grand Sérail qui devient le siège de la présidence du Conseil. Totalement détruits durant la guerre, le Sérail et la tour de l’horloge sont magnifiquement restaurés en 1994 et un étage supplémentaire vient compléter le majestueux édifice.
Les thermes sont un des vestiges importants que nous ont laissés les Romains du temps de leur vaste empire. Ceux qui se situent en contrebas du Sérail, mis au jour en 1968, ont été construits au 1er siècle par Agrippa. Les canalisations amenant l’eau sont encore visibles ainsi que les bassins d’eau chaude ou tiède, les mosaïques et des chambres ornées de motifs peints. Remblayés dès le début de la guerre en 1975, ils sont de nouveau déblayés et fouillés entre 1995 et 1997. L’éclairage très étudié et le jardin à proximité donnent à l’ensemble une touche très théâtrale.
Des onze hammams de Beyrouth, il n’en reste plus qu’un. Hammam el Nouzha se situe dans le quartier du Sérail et offre aux curieux une devanture un peu décrépie. C’est une vieille tradition familiale qui a conduit en 1920 Hajj Ahmad Bayak Dar à édifier son hammam qui était un des lieux les plus fréquentés de la ville. À l’époque, aller au hammam relevait de la commodité. L’eau courante n’était pas si courante et les corps se devaient d’être propres pour assainir les âmes. Alors, deux ou trois fois par semaine, les hommes et les femmes se partageaient, à des heures différentes du jour et de la nuit, les divers services qu’offraient ces bains dits turcs. Le petit-fils de Hajj Ahmad a repris le flambeau et le hammam est tel qu’il a été construit au début du siècle, à la différence près que les vapeurs d’eau sont aujourd’hui produites par des machines. Une fois la porte passée et les appréhensions dépassées, place aux voluptés d’un bain au savon naturel, d’un massage vigoureux et d’une bonne tasse de thé. Dans la vapeur, les soucis se diluent et ce hammam, qui ne ferme jamais ses portes, a ses adeptes qui se comptent parmi les ouvriers, les touristes mais aussi les hommes d’affaires.
C’est en 1910 que Wadih Sabra fonde Dar el Mousica, une école qui mêle les notes folkloriques d’une musique libanaise en mal de repères et les accords consacrés des partitions occidentales. Les Français du Mandat, séduits par la ténacité et le professionnalisme de Sabra, son acharnement aussi à faire de la musique libanaise une entité à part entière, élèvent en octobre 1925 son institution au rang d’École nationale de musique. Un décret est signé en 1929 pour l’officialiser sous le nom de Conservatoire national. Quand, en 1952, emporté par la maladie, Wadih Sabra disparaît, Anis Fleihan, compositeur américain d’origine libanaise, lui succède et c’est durant son mandat que le Conservatoire se voit doté d’un règlement officiel en 1959. Attaché directement au ministère de l’Education nationale, dirigé par un conseil d’administration, le Conservatoire national de musique s’épanouit. Derrière le Grand Sérail se regroupe la section de musique occidentale alors qu’une bâtisse située rue Monot résonne des accords de la musique orientale. Durant les années sinistres, le Conservatoire agonise mais ne ferme pas ses portes. En mars 1991, le ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts demande au compositeur et chef d’orchestre alors membre de l’administration, Walid Gholmieh, de reprendre les rênes du Conservatoire qui devient une entité indépendante. Les réalisations les plus importantes restent l’Orchestre national créé en 1998 et qui regroupe 45 musiciens libanais et l’Orchestre symphonique national qui a vu le jour en juin 2000 et qui compte un peu moins de cent musiciens. L’Orchestre national de musique orientale est composé de 50 musiciens.
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