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BEYROUTH BY DAY: Ras Beyrouth

08/09/2021|Tania Hadjithomas Mehanna

Bordé par l’avenue du Général de Gaulle et la rue de l’Université américaine, Ras Beyrouth n’en représente pas moins une spécificité toute libanaise. Celle du temps où la ville flirtait avec la mer dans un déluge de jardins fruitiers, de maisons aux tuiles rouges et de terrains cultivés. Ce qu’on appelle Jal el Bahr fait la fierté des familles beyrouthines qui, aujourd’hui encore, tentent de préserver le charme de leur quartier moins touché par l’urbanisation sauvage qui décime Ain el Mreisseh. Les vieilles maisons qui ont résisté à l’expansion de l’Université américaine sont toutes tournées vers la mer et narguent la ville moderne qui veut les avaler.

 

Dans le langage beyrouthin, Ras Beyrouth est une appellation qui va bien au-delà de ses limites officielles. Ras Beyrouth, c’est Hamra, Manara, Jamaa, Raoucheh. Ras Beyrouth c’est la « tête de la ville », là où la liberté de parole et de pensée prévaut, là où le monde se fait et se défait, là où l’élite intellectuelle se retrouve. Ras Beyrouth c’est aussi un cap, une pointe rocheuse qui prolonge la ville, qui la prend plus loin qu’elle ne peut aller comme pour l’obliger à sortir de sa torpeur, à secouer ses idées reçues, à bousculer ses douces habitudes, à s’exposer aussi aux aléas de l’extraterritorialité. 

On cultive du thé vert dans les jardins des maisons et la proximité de la mer n’a pas empêché la terre de donner une grande variété de fruits. Les terrasses sont directement plantées au ras des flots et l’on se prévaut de splendides palmiers-dattiers, rares dans la région paraît-il. Ce qui frappe dans le quartier de Ras Beyrouth c’est de constater que, malgré la prédominance du béton, les habitants font de la résistance. Plus les immeubles poussent, plus ils cultivent leur jardin. Des Candide en puissance qui soutiennent mordicus qu’ils ne vendront pas, ne partiront pas, que durant la guerre aucun incident n’est venu compromettre la cohabitation, que c’est avec leurs poings qu’ils ont défendu leurs rues et qu’à l’image du petit port que les pêcheurs d’ici ont façonné de leurs mains, ils n’ont besoin de personne et continueront à faire pousser des arbres et des espoirs. 

 

Abou Riad, le doyen de la famille Sleit, a le visage serein de ceux qui sont chez eux. Cela fait 200 ans que sa famille habite Ras Beyrouth et il connaît le quartier par cœur. Il cite les familles, les plantes qui soignent et raconte sa vie modulée par les aléas de Beyrouth. Au temps où les voyageurs et commerçants débarquaient au port, Abou Riad les conduisait à travers tout le Liban dans ses voitures-taxis. Les routes devenues dangereuses durant la guerre, il ouvre une station d’essence. Il est fier de sa famille composée de six garçons et trois filles même si tous vivent à l’étranger. Tous, sauf Khaled, visiblement épris de son quartier, il en connaît toutes les petites histoires. Il arpente les rues, salue tout le monde, descend au port, console un pêcheur malade, se baigne, plante du thé. Entre temps, dans le jardin de la maison Sleit, tout le monde s’active à s’occuper sans relâche de ce qu’ils appellent les « plantes de Ras Beyrouth », à savoir les hibiscus, les orangers, les figuiers de Barbarie, les grenadiers, les citronniers et surtout les délicieuses mûres qu’Abou Riad partage volontiers avec le directeur de l’AUB qui vient souvent rendre visite aux familles de Ras Beyrouth. 

 

La Corniche est bien plus qu’une tranche de ville, bien plus qu’une délimitation géographique. Elle s’appelle officiellement rue Minet el Hosn, avenue de Paris et avenue du Général de Gaulle avant de continuer plus loin en avenue Rafic Hariri. Les riverains l’appellent naturellement du nom de leur quartier : Aïn el Mreisseh, Ras Beyrouth, Manara et Raoucheh. Pourtant la Corniche n’a besoin de rien ou de personne pour afficher son identité. Plusieurs fois remblayée, agrandie, embellie, elle passe outre la colère des riverains à qui on a fermé l’accès à la mer et finit par rassembler tous les suffrages. Elle fait l’unanimité et on vient de tous les coins de Beyrouth, y faire son sport en solitaire ou en famille manger des kaak, des lupins et du foul, fumer le narguilé, jeter sa ligne pour attraper des sultan ibrahim, ou s’asseoir sur un banc à la Gaudi pour conter fleurette à la voisine. La corniche, il suffit de prononcer son nom en arabe ou en français pour que l’esprit s’échappe. On tourne pour quelques heures le dos à la ville et on laisse le regard s’évader. La Corniche s’étire encore et le temps s’oublie. 

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