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BEYROUTH BY DAY: Nejmeh #1

09/12/2020|Tania Hadjithomas Mehanna

Le centre-ville de Beyrouth, véritable cœur, poumon et rein de la ville, a toujours généré des passions multiples. Passion des habitants de la ville qui trouvaient dans les rues animées, les souks colorés et une proximité de bon aloi, autant de façons de vivre et de travailler, de se côtoyer sans se heurter. Passion des archéologues qui, venus du monde entier, découvraient les nombreuses richesses d’un sous-sol libanais qui n’a pas fini de se révéler. Passion aussi des touristes qui nourrissaient leur regard des différents monuments, lieux de culte et strates d’histoire. Passion des gens de Beyrouth qui ont cristallisé dès le début de la guerre toute leur rancœur, leur douleur et leur colère dans ce qui est devenu un symbole concret de la déstructuration d’un pays et d’un système de vie. Passion enfin d’une ville déchirée par les aléas de la reconstruction entre les adeptes d’un colmatage rapide des brèches pour faire vite beau et propre et les laissés-pour-compte qui ont compris, avec amertume, qu’ils ne retrouveront jamais « leur » centre-ville ou du moins l’idée, la quintessence d’un temps révolu. 

 

Dans un périmètre géographique réduit, Nejmeh est un véritable concentré d’histoire. C’est là qu’est né Beyrouth, c’est là où se sont déroulés les principaux chapitres d’un destin si particulier. Il faudrait marcher tout doucement en regardant partout, se pencher sur les pierres, sur les écrits d’hier, sur les références historiques. Traverser sans se presser les places, arpenter les rues aux noms mythiques, se recueillir dans les églises, les mosquées, remonter la rue des banques, longer les vestiges, s’immerger, prendre son temps. La vie et l’histoire sont là, même si les immeubles restaurés sont très lisses, les voitures plus nombreuses que les piétons et les souks très modernes. C’est le centre-ville d’aujourd’hui, indissociable d’hier mais centre d’une ville en mutation, en déconstruction-reconstruction, en perpétuel questionnement. 

 

Si les trois places du quartier de Nejmeh sont situées à quelques mètres l’une de l’autre, elles ont pourtant des identités bien distinctes. Ouverte sur la mer, théâtre de nombreux tourments, la place des Martyrs épouse la ville et ses convictions, le peuple et ses revendications alors que la place de l’Étoile, dans un tracé pourtant très occidental, se situe plus dans une sorte de confinement. La place Riad el Solh, ouverte et urbaine, rappelle quant à elle la grande pluralité de cette ville, ses envies de liberté et d’expansion. 

 

Véritable témoin de l’histoire, agora d’une ville en tourmente, la place des Martyrs donne aujourd’hui sur la mer. À l’origine, une étendue plus ou moins déserte qui avait pris le nom de la tour de garde érigée là, Bourj el Kashaf ou Bourj el Hasheish comme mentionnée sur de vieilles cartes,Sahat el Bourj donc au XVIIe siècle mais le canon installé en son milieu par les Russes qui avaient assiégé la ville en 1773 lui donnera le nom de place du Canon. Plus tard, en 1860, les canons du général Beaufort d’Hautpoul imposèrent le pluriel à cette place stratégique. La place des Canons garda longtemps cette appellation que lui donnèrent spontanément les habitants d’une ville rompue aux aléas des changements. Quand les Ottomans aménagèrent la place, l’agrémentant d’un jardin et de kiosques à musique, elle prit le nom du tout-puissant sultan Abdel Hamid II. La place resta « Hamidiyyé » jusqu’à la révolution des Jeunes Turcs en 1903 et el Bourj se débaptisa encore une fois pour devenir place de la Liberté ou place de l’Union. Mais Beyrouth garda longtemps Sahat el Bourj dans son vocabulaire, comme un ultime acte de rébellion. En août 1915 et en mai 1916, cette place si vivante se transforma en lieu de mort avec l’exécution de onze hommes qui avaient eu l’heur de déplaire aux autorités ottomanes. Le 6 mai 1960, un monument aux martyrs sera officiellement inauguré. L’œuvre du sculpteur italien Mazzacurati représente deux martyrs à terre, une statue portant le flambeau de la liberté et un adolescent, symbole d’un avenir prometteur. Malgré la destruction systématique du centre-ville, le monument aux martyrs, criblé de balles, ne bouge pas. Au lendemain de la guerre, il devient, dans un paysage apocalyptique, l’unique référence de la place d’hier pour les Libanais assommés. 

 

La place Riad el Solh était connue vers la fin du XIXe siècle sous le nom de place Assour et connaissait une animation quotidienne du fait de son emplacement non loin des deux portes principales de la ville, Bab Yaacoub et Bab Derkan. En 1900, lors des festivités données dans la ville de Beyrouth à l’occasion du 25e anniversaire de l’accession au trône du sultan Abdel Hamid II, une fontaine de marbre y est érigée. La place connut alors plusieurs changements avec notamment des halles qui furent construites tout autour dès 1901. Carrefour des hommes, point de rencontre des affaires, ce petit triangle était entouré de part et d’autre d’artères importantes. En 1947, sur un chantier à la place Assour, un liquide noir jailli de sous la terre mit en émoi toute la ville. Du pétrole à Beyrouth ? L’affaire resta sans suite même si l’on raconte encore que 50 à 60 barils par jour furent extraits et que des analyses indiquèrent une forte teneur en pétrole. Réaménagée en 1949, la place fut rebaptisée place Riad El Solh en 1951, et la statue du grand homme disparu tragiquement, œuvre de Marino Mazzacurati, remplaça définitivement en 1957 la fontaine Hamidiyyé qui se trouve actuellement au jardin de Sanayeh. Atteint de plusieurs éclats d’obus, la statue est d’abord transférée dans les jardins de la maison de la fille du président Solh, Bahigé el Assaad, en 1976, puis à Damas où elle séjournera dans une caserne de l’armée syrienne. À la demande de la famille, la statue, restaurée, regagne sa place le 14 octobre 1998. 

 

Quand des envies d’urbanisme ont agité les responsables français en poste dans la capitale libanaise, la vieille ville est déblayée à partir du milieu des années 20. Les ruelles sans trottoirs, les maisons qui s’enchevêtrent, les vieilles mosquées, les caravansérails aussi pittoresques qu’insalubres, disparaissent sous les coups de pioche. Des avenues bordées de boutiques, des habitations aux façades élégantes forment dès le début des années 30 le paysage de la place de l’Étoile que les autorités mandataires ont voulu à l’image de celle de Paris. Les ingénieurs français Deschamps et Destrée, qui ont dessiné la place telle qu’elle est aujourd’hui, ont privilégié les larges avenues. Aujourd’hui, la plupart des immeubles qui l’entourent ont retrouvé les styles architecturaux atypiques qui les caractérisaient ainsi que les cafés autour de la place. 

 

Sur une place pourtant publique et passante, le siège du parlement libanais, édifié entre 1933 et 1935, est totalement hermétique vu de l’extérieur. Telle une gigantesque boîte, il n’offre aux regards qu’un immense escalier surmonté d’une porte imposante. L’intérieur du parlement est beaucoup moins impressionnant. Une galerie de portraits affiche les visages et les noms de ceux qui ont présidé cette institution et des salons offrent leurs canapés confortables aux élus de la nation. Les étages supérieurs sont réservés aux bureaux alors que le roof abrite des restaurants. Les gardiens des lieux aux mines patibulaires, les députés avec leur cortège de gardes du corps, les journalistes qui rédigent leurs rapports se croisent dans les couloirs. Offerte par un riche émigré libanais du Mexique, Miguel Abed, l’horloge a été édifiée en 1932 par l’ingénieur Mardiros Altounian qui avait obtenu le premier prix d’un concours lancé par la Municipalité de Beyrouth. En 1965, elle sera transférée à la gare du fleuve. Restaurée en 1996, elle a regagné le centre de la place. 

 

La boule est restée. Bulle, œuf, galet, les dénominations affluent pour qualifier ce qui fut le City Center, dans les années 60. Situé dans la région de Bachoura, le galet faisait partie d’un ensemble commercial qui abritait cinémas, bureaux, galeries marchandes, stations de taxis. Fortement endommagé durant la guerre, tout fut détruit à l’exception de la bulle devenue un symbole de résistance face à la polémique de la reconstruction du centre-ville. Décapité, ouvert aux quatre vents, le galet suscite des passions. Des groupes se forment, des soirées s’y organisent, des projets très intéressants s’élaborent, les idées fusent mais rien de concret ne vient troubler la résignation de cet œuf qui attend.

 

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