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BEYROUTH BY DAY: Mar Maroun

25/11/2020|Tania Hadjithomas Mehanna

On croit encore entendre dans le quartier de Saïfi-Mar Maroun le marteau des menuisiers qui rythmaient l’époque où la ville se déplaçait là pour admirer le travail des artisans du bois. Le quartier porte le double nom de Mazra’at el Saïfi, un faubourg qui a pris de plus en plus d’ampleur avec l’extension démographique et de l’église Mar Maroun, édifiée en 1874. Deux visages avec d’un côté le rutilant Saïfi village aux maisons coquettes, et de l’autre le vieux Mar Maroun aux trésors architecturaux d’un ocre passé où Alphonse de Lamartine aurait même séjourné quelque temps selon certaines sources. Séparés par une large avenue, ces deux côtés d’une même ville se complètent en toute harmonie et des bâtisses intelligemment rénovées côté Mar Maroun donnent à réfléchir sur ce qu’aurait pu être un Beyrouth réconcilié avec son passé.

 

Le « Quartier des arts », ou Saïfi village, est la fierté de Solidere, la société chargée de la reconstruction du centre-ville. Immeubles de quatre étages, fontaines et jardins, galeries d’art et boutiques forment un ensemble coloré harmonieux. La polémique qui a longtemps divisé Beyrouth sur la nécessité de recréer l’atmosphère populaire du centre-ville ou d’aller de l’avant n’a plus lieu d’être aujourd’hui où les tours qui n’ont plus de limites ont envahi tout l’espace urbain. Et Saïfi, malgré les critiques, malgré son aspect bourgeois et propret, est un joli succès et un endroit où les touristes vont volontiers photographier les fenêtres à arcades et les toits en tuiles. 

 

Le samedi matin, les Beyrouthins en mal de nature se réveillent parfois très tôt pour aller à la rencontre d’agriculteurs venus de tous les coins du Liban. Dans une atmosphère particulière ponctuée de saluts chaleureux, Souk el Tayeb, ce marché qui a tout bon, propose des légumes bio, des fleurs fraîchement coupées, des objets artisanaux, des produits de mouné, des manakich « qui ne font pas grossir », des œufs frais et tout ce qui a trait à l’authentique. Ismaïl Arslan est artisan vannier et fait partie de l’Association libanaise des aveugles. Il travaille la paille et fabrique des plateaux, des tabourets, des lampes qu’il vient vendre tous les samedis. Nawal Hariz vient du Haut-Metn. Durant la semaine, les dames de son village préparent des produits du terroir que Nawal vient proposer à Souk el Tayeb. Confitures de dattes, olives confites, thym séché, mais aussi arak et eau de rose, tout est fait suivant la tradition de là-haut avec « le bon goût des choses simples ». 

 

Le Ring. Il ne faut pas s’étonner que ce simple nom fasse frémir si l’on se souvient que, durant la guerre, traverser ce boulevard était synonyme de roulette russe. Les francs-tireurs sévissaient et ils visaient plutôt bien si l’on compte les nombreuses victimes qui ont tenté l’impossible. L’aménagement de l’avenue Fouad Chéhab était pourtant une évidence pour relier les deux côtés de Beyrouth qu’un directeur de police avait, dès 1949, déjà divisés en Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest. Les appellations ne datent donc pas de la guerre de 1975. Ce n’est qu’en juillet 1968 que les travaux débutent et, le 18 septembre 1970, les ponts et les tunnels de l’avenue Fouad Chéhab sont ouverts à la circulation par le président Charles Hélou. Baptisée Ring commercial, cette artère, qui prendra le nom macabre de Ring de la mort dès le début des événements, sera fermée en 1984 et ne sera rouverte à la circulation qu’en décembre 1990. 

 

Saïfi-Mar Maroun possède le charme suranné des vieux quartiers. Alignant des constructions de l’époque du mandat français, il a réussi à s’ancrer dans la ville moderne tout en conservant ses vieilles boutiques, ses vieux artisans et son identité si particulière. Les Beyrouthins se sont pris d’engouement pour les rues de Mar Maroun et les maisons se négocient à prix d’or malgré leur état un peu délabré. Toute une jeunesse bobo composée d’artistes a pris le quartier d’assaut même si certains ont déchanté en raison de la pollution sonore et des embouteillages provoqués par les nombreux pubs qui drainent les noctambules. Mais la journée est calme et le jardin fleuri de l’église Santa attire les oiseaux. Pourtant, le puits qui abreuvait tout le quartier est aujourd’hui spolié par les constructions récentes. Les vestiges des thermes romains, découverts à la rue Maroun Naccache en 2008, achèvent de rappeler que l’histoire nimbe le quartier Saїfi-Mar Maroun d’une couleur particulière. 

 

Là où se situe aujourd’hui l’église Santa, en face du collège du Sacré-Cœur fondé en 1894, une inscription rappelle que la première pièce en langue française a été jouée là en 1848. De retour dans sa maison qui abritait un dépôt de « voitures-carrosse », Maroun Naccache qui a ramené de ses nombreux voyages la passion du théâtre, décide de réunir des réfugiés italiens et de les initier aux subtilités de cet art venu d’Europe. En 1848, devant un parterre de personnalités libanaises et ottomanes, L’Avare de Molière marquera les premiers pas du théâtre libanais. La salle est conquise, n’hésitant pas à intervenir pour ponctuer de commentaires les réparties des acteurs. Aujourd’hui, à Mar Mikhaël, une salle de théâtre a été baptisée Théâtre Maroun Naccache en hommage au précurseur de cet art qui ne trouvera audience au Liban qu’à partir des années 50. Ce sera la fin des hakawati et les vrais débuts de la scène théâtrale libanaise. 

 

 

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