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BEYROUTH BY DAY: Ghabeh

10/03/2021|Tania Hadjithomas Mehanna

« La colline des hirondelles », comme une chanson ou un poème, promène sa différence dans les ruelles étroites, les nombreux escaliers, les boucles et les courbes de ce petit coin de ville. À l’origine, une vaste forêt abritait les oiseaux, des arbres fruitiers, des oliviers, des pins et des chênes, sans oublier les frangipaniers et quelques maisons aux tuiles rouges qui avaient autour d’elles le plus beau des jardins. De la forêt remplacée par les immeubles nécessaires pour accueillir l’afflux d’immigrés du Mont-Liban venus dès le début du XXe siècle se rapprocher de la ville, il ne reste que le nom du quartier « Ghabeh » et celui d’une de ses rues « Karm el Zeitoun », le champ des oliviers. 

 

Alexandre Paulikevitch est né dans une maison sous les toits qui donnaient sur une énorme forêt : « Je me souviens que jusqu’à la fin des années 80, on allait encore jouer sur la colline boisée. On y plantait des tentes et on campait. C’était juste avant qu’ils ne construisent l’énorme pont. Malgré la présence de nombreux nouveaux immeubles, il y a encore à Ghabeh une vraie vie de quartier, comme une sorte d’appartenance aussi. Tout le monde se connaît et les petits commerçants, cordonniers, bouchers, couturières sont les vrais gardiens de la mémoire de Ghabeh. Quand je suis revenu de France et que les gens ont appris que j’étais danseur, ils ont été un peu étonnés mais je n’ai jamais subi de critiques ou de rejet vu que j’appartiens au quartier. Cela impose le respect. C’est la solidarité. »

 

La densité de la population à Ghabeh a entraîné une urbanisation un peu sauvage et les maisons sont encastrées les unes dans les autres sur les flancs de la colline. Le quartier semble être délaissé par les organismes étatiques, isolé sur sa petite montagne comme une excroissance. En 2003, grâce à l’heureuse initiative de l’association Help Lebanon, de nouvelles couleurs parent les façades, les trompe-l’œil ouvrent les portes aux ailleurs et le quartier prend des airs de petit Montmartre. Les coups de pinceaux ont chassé la morosité ambiante, les sourires s’affichent et les habitants de Ghabeh font eux aussi des efforts pour rendre leur environnement plus agréable. Depuis 1997, Liliane Tyan, la présidente de Help Lebanon, poursuit tranquillement, de quartier en quartier et de village en village, sa révolution du beau avec une volonté de fer dans un gant de velours. 

 

Hay Maamari fait figure d’oasis dans l’enchevêtrement de maisons et de pentes, d’immeubles et d’artères qu’est Ghabeh. Les oiseaux s’en donnent à cœur joie et les poules se dandinent dans les champs suivies d’une nuée de poussins. Huit familles se partagent ces bouts de jardins qui font oublier le trafic, pourtant intense, sur l’énorme pont quipasse au-dessus. Marie Karam est là depuis 50 ans. Elle nous offre du café, et puis un sirop de mûres, et puis un thé et insiste pour nous faire goûter toutes les bonnes choses de sa mouné qu’elle prépare chaque année à partir de septembre. « Vous savez, ici, c’est vraiment un village. Et comme dans tout village on fait du kishk, et du reb el banadoura et du vinaigre de raisins. Tous les voisins mettent la main à la pâte. Nous vivons en communauté et nous sommes très attachés les uns aux autres. Quand les gens découvrent notre joli coin, ils sont étonnés. Comment faites-vous pour préserver tout ça ? Malgré la proximité des rues, le matin on n’entend que les rossignols qui chantent. Je passe mes journées à m’occuper de mes poules, de mes provisions, de mes conserves et de mes arbres. Je plante beaucoup de nouvelles variétés et j’adore les voir pousser. Je suis vraiment comme un poisson dans l’eau ici. Vous ne reprendrez pas un autre café ? »

 

Dans le ciel de Ghabeh, des pigeons forment les plus gracieuses des figures. Partis des toits des immeubles, les oiseaux tournoient, s’élèvent et célèbrent à leur manière leur joie d’être en même temps libres et fidèles à l’homme. La colombiculture est un art ancestral au Liban et cette passion se transmet de père en fils. Car élever les pigeons obéit à un certain nombre de règles que tout éleveur suivra scrupuleusement. Démentant l’adage qui dit que lors d’un procès le témoignage d’un éleveur de pigeons ne peut être pris en compte tellement il a l’habitude de mentir, les kechech hamem de Beyrouth se volent « loyalement » les pigeons, se les rendent, les négocient dans des cafés de Beyrouth suivant des normes précises et cela aussi fait partie du jeu. Durant la guerre, ces oiseaux ont joué leur rôle de pigeons voyageurs, transportant des messages d’un bout à l’autre de la ville, bravant les barricades et les frontières de l’absurde. Aujourd’hui, le « Beyrouth » et le « Libanais », deux races de pigeons très prisées, n’obéissent plus qu’à la passion des éleveurs qui, sur la terre comme au ciel, perpétuent les traditions des ancêtres. 

 

 

 

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