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BEYROUTH BY DAY: Bachoura

14/07/2021|Tania Hadjithomas Mehanna

Au cœur de la ville, Bachoura palpite au rythme des contradictions qui font de Beyrouth une ville que l’on ne saurait qualifier au risque de tomber dans le cliché ou dans le démenti. D’un côté, des ruelles animées où la vie se bouscule. De l’autre, de grandes artères désertes déconcertent. Pourquoi ces maisons sont-elles endormies ? Qu’attendent ces bâtisses alignées, vides de toute vie mais si belles dans leur architecture ? L’église Saint-Georges est déserte, abandonnée, mais la rue chuchote qu’un grand projet immobilier est en gestation, que la situation politique en a juste retardé le démarrage, que bientôt ce quartier se parera de neuf. 

 

Si les immeubles sont totalement vidés de leurs habitants et n’abritent plus que des pigeons, quelques petits commerces distillent des souffles de vies qui vont, viennent, se croisent et se reconnaissent. Le mécanicien, le boulanger ou encore le petit restaurant de foul ne manquent pas de clients, de ces Beyrouthins habitués au commerce de proximité et qui ont fait de l’échange humain un incontournable du quotidien. Ahlan bi khawaja Farid. Les salutations se personnalisent et la man’ouché du matin est tellement plus savoureuse quand on connaît le boulanger depuis toujours. Et même si le décor est élimé, combien est rassurant le sourire de celui qui garde sa porte ouverte aux désirs des passants, des habitués et des habitudes. 

 

Son nom est Anouar Khawam. Dans son petit restaurant de la rue Khandak el Ghamiq, Mat’am Abou el Nour, ses plats de foul et de hommos mettent l’eau à la bouche. « Notre restaurant a 51 ans. Il date du temps du président Chamoun. On a dû fermer dix-sept ans pendant la guerre et on a rouvert, en 1991, avant même que les grues ne dégagent les routes. J’ai appris le métier grâce à mon père, Saïd, qui était un fameux fouwwel. Je cuisine tous les matins et je reçois mes premiers clients dès six heures. Les gens viennent de partout déguster mes plats. Chacun a ses habitudes. Certains veulent plus d’ail, d’autres plus de cumin ou d’oignons. C’est important de connaître leurs goûts. Ici, à Bachoura, il n’y a pas de différents religieux. Nous sommes faits pour vivre ensemble. La séparation était artificielle, forcée… Regardez comment je “casse” les pois chiches. C’est tout un art. Je prends mon pain du boulanger du bas qui fabrique encore un pain mawé, c'est-à-dire plus épais, pour mieux saisir les fèves. Vous savez, le fouwwel ne doit pas seulement savoir cuisiner les fèves et le hommos, mais il doit aussi avoir de l’esprit et faire rire les clients. C’est dans la tradition. Yallé bi douk bi tanné, wel tafrane bi ghanné. Celui qui goûte se ressert et celui qui est fauché se contente de chanter. »

Le mur du cimetière de Bachoura semble interminable. Pas moins de 6800 tombes jonchent un sol réputé « hamé » où les corps se désintègrent très vite. Restent les noms qui se succèdent avec parmi eux des princesses du temps jadis, des ministres, des députés, des poètes. Les tombes élégantes font la fierté du fossoyeur qui nous confie ne plus pouvoir accueillir de nouveaux arrivants. Uniquement les familles déjà présentes verront leurs proches les rejoindre. Le cimetière est calme comme savent l’être les cimetières. Des femmes en noir déposent quelques fleurs en silence. Les photos sont interdites sans autorisation de… l’ambassade de Turquie. Car ici dort depuis près d’un siècle le wali de Beyrouth, Hamdi Pacha, dans un mausolée grandiose sous la protection des autorités turques. 

 

Dans la communauté musulmane, le jour de l’enterrement, après les prières, les hommes prennent à pied le chemin du cimetière, et le cercueil est porté à bout de bras. Une poignée de terre sera mise dans la bouche du défunt pour rappeler que l’homme n’est que poussière. Parfois le voisinage se cotise pour payer les funérailles dans le but d’épargner à la famille éplorée davantage de soucis. La femme du défunt n’accompagne pas les obsèques et reste chez elle en compagnie des autres femmes. Elle portera le deuil durant un an au moins et parfois trois. Il est de coutume dans certains villages libanais que la femme ayant perdu un mari ou un fils porte le noir le restant de ses jours. En signe de deuil, les hommes ne se raseront pas la barbe durant quarante jours. 

 

Si l’association Assabil et la Municipalité de Beyrouth ont choisi d’ouvrir la première bibliothèque publique à Bachoura, ce n’est pas un hasard. Extrêmement central, le quartier ne compte pas moins de vingt-trois écoles susceptibles de bénéficier des nombreux livres entreposés dans plus de 300 mètres carrés au troisième étage de l’immeuble des pompiers. Le succès est au rendez-vous et le personnel dynamique ne manque pas d’idées pour animer les lieux où, étudiants et riverains, se plongent dans les livres comme dans les canapés confortables. Et, dans le jardin public situé entre Bachoura et Basta, un ficus centenaire, déraciné du Centre-ville mais sauvé par des gens de bonne volonté, se refait une santé depuis 1999 et protège de son ombre bienfaisante les oiseaux et les enfants. 

 

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