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‘A Amal, le feuilleton coup de poing, coup de gueule

06/04/2024|Gisèle Kayata Eid

Avec son dernier feuilleton ‘A Amal, toujours en diffusion, Nadine Jaber fait exploser l’écran et certaines mentalités moyenâgeuses du pays. 

La cinéaste, tape fort cette fois-ci dans les chaumières. (On lui doit les trois saisons de Lal mot) Elle fait éclater les barrières, les préjugés, les non-dits et les sous-entendus. Elle met à nu les incongruités d’un pays qui, entre dévergondage notoire et cachotteries sous scellé, porte en lui un système rédhibitoire qu’on occulte par peur de troubler un ordre férocement verrouillé par les communautés et les traditions.  

Dans une société où la femme n’est pas encore propriétaire de sa personne, quand nos concitoyennes sont encore (un peu trop) souvent entièrement soumises au bon vouloir de leur père ou de leur mari, quand leur vie privée peut être encore détenue par un homme, au besoin un frère, un oncle ou un cousin, Nadine Jaber, fille de ce pays et de cette terre, ose montrer à la télévision, en ce temps saint du Ramadan, ce qui se trame dans les alcôves secrètes et les coins reculés des villages aux mentalités sclérosées. 

Dans un entretien téléphonique, celle qui propose un scénario osé et courageux, désire dénoncer à travers la dramaturgie ce qui, encore aujourd’hui, se passe, à divers degrés bien entendu, dans des familles où, sous prétexte du respect des us et coutumes, les outrages de toutes sortes envers les femmes sont courants et le crime d’honneur encore la règle. Il constitue d’ailleurs le nœud gordien du feuilleton (d’après la revue Ab3ad ! il serait en hausse de 300 % cette année). 

La jeune femme avoue avec passion avoir une mission en racontant le monstrueux de ces traditions qui existent toujours, propres à certaines tribus claniques (par ailleurs rappelons-le, régies par des codes de vie vétuste qui prévalaient en Europe avant que la Révolution française ne les abolisse avec l’émergence du droit pénal laïque et démocratique en statuant que le citoyen est désormais pensé « à partir de lui-même et non à partir de quelque « possesseur présumé »).  « Nous sommes arrivés à un moment où il est temps de nommer les choses par leur nom. Je suis sur terre pour ça. Si un auteur n’a pas le courage de le faire, mieux vaut pour lui qu’il se taise ! »

Avec un sens aigu de l’intrigue, servi par un casting blindé et une production généreuse, Nadine Jaber épluche toutes les situations d’abus de la femme : éducation interdite, obligation pour la cadette de la famille de demeurer célibataire pour servir ses parents, offense suprême de défier le clan en convolant en justes noces -khatiféh-, obligation de se marier avec tel cousin selon son degré dans la fratrie, frustrations des épouses du même homme qu’elles doivent se partager, leurs complicités, leurs magouilles, leur solidarité, etc. 

C’est une fresque vivante d’un pan de la société toujours sous le joug de ces traditions qui se déroule donc chaque soir dans nos salons. Un feuilleton qui envoie des messages dans un dialogue achevé, notamment à travers le personnage principal, elle-même victime d’abus suprême, qui milite pour l’émancipation de la femme dans un programme télévisé, au détriment de son bonheur personnel. 

Une incursion intimiste dans un milieu qui n’est pas familier mais où coexistent aussi, la mère rassembleuse à qui on voue un respect total, l’enfant prodige qui retourne après avoir pris la fuite pour échapper à l’emmurement des mentalités, mais qui demeure déchiré par l’appel de ses racines, les conflits entre mentalités modernisées et archaïques, le désir des jeunes de s’émanciper par l’éducation…    Subrepticement, en dévoilant personnage après l’autre, les sentiments et situations bien du terroir sont effleurés : la bonté inconditionnelle des uns, l’amour qui entoure le jeune handicapé qu’on appelle « la baraka » de la maison, la cohésion indéfectible des membres du clan face au malheur… 

 

Entre connivences et subterfuges, entre concours de circonstances et blessures traumatiques, entre vengeance larvée et magouilles professionnelles du milieu des médias (el Hawa mich la akl el hawa -ce n’est pas parce qu’on jouit d’une tribune qu’on peut se permettre de dire n’importe quoi), Nadine Jaber s’engage dans une dénonciation puissante et directe de la société machiste, lance un appel au secours de ces femmes brimées, relève le rôle primordial de la maternité, le lien indéfectible mère-fille, écorche en passant le monde du spectacle et surtout propose un souffle de liberté à chaque soir renouvelé… 

 

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