Le téléphone sonnait à vide, j'ai raccroché. Marc m'a rappelée, affable. C'est elle au bout du fil. 
— Je suis matinale ? J’ai dit.
— Oui, elle a répondu.
On ne mâche pas ses mots au bord de l'indicible.
— Tu m'as manqué, j'ai dit.

J'ai fait la conversation. Parlé de la neige qui tombe, de la circulation. Intact chez elle, cet intérêt porté aux êtres et aux choses. L’esprit vif et curieux, si brillante et raffinée, sous des dehors d'humilité. Après des études d'ingénieur, elle a étudié l’histoire de l'art à l’Ecole du Louvre. C'est elle qui m'a parlé de l'Agenda Culturel où elle a publié une série d'articles sous le titre "Beyrouth vue par le cinéma". Un travail remarquable qui s’inscrit dans la continuité de celui entrepris par Jocelyne Saab. 
Comme on parlait comme si de rien n’était, elle a évoqué Ada et Anne-Marie, anciennes de notre école et qui nous avaient quittés. Comme si elle reprenait le témoin.

— Quelles nouvelles chez toi ? 

Elle dit :
— Tu parles de quoi ?
— La vie en général ?

Elle dit et les mots butent dans sa bouche :
— Tu sais que je suis en fauteuil.
— Tu marches un peu parfois ?

— Non, pas depuis trois jours.

Et la neige tombait comme un rideau et couvrait tout de son linceul.