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VI : Rencontre avec Karim Sultan

05/01/2019

Depuis 2010, Barjeel Art Foundation à Sharjah aux Emirats Arabes Unis œuvre pour la vulgarisation d’une histoire de l’art arabe par la gestion d’une collection constituée par son fondateur Sultan Al Qassemi regroupant des œuvres du XIXème siècle à aujourd’hui d’artistes du monde arabe et de sa diaspora. Karim Sultan, directeur et commissaire d’exposition de la fondation, a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la mise en place d’un partenariat avec le Sharjah Art Museum constituant un prêt de 130 œuvres sur cinq ans par la fondation. “A Century In Flux” regroupe 130 œuvres d’art, de 1880 à 1990 permettant d’explorer la collection Barjeel. Son commissariat a été assuré par Mandy Merzaban, Karim Sultan et SalwaMikdadi et sera visible jusqu’en 2023 au Sharjah Art Museum.


Comment s’organise l’offre culturelle aux Emirats, et quelle place tiennent les musées ?
L’offre culturelle des Emirats repose sur un eco-system basé sur l’identité de ses trois villes principales, Dubai, Sharjah et Abu Dhabi, qui ont chacune une approche très différente de la culture. Les deux premières sont limitrophes et se sont développées l’une dans l’autre, Abu Dhabi est plus éloignée et a connu son propre développement avec la construction de son “Ile aux musées”, Saadiyat Island qui comprend des musées d’importance internationale, qui ont été créés sur la base de partenariats comme le Louvre. Dubai accueille plutôt la scène commerciale des galeries d’art à Alserkal Avenue. Le monde de l’art est plus tourné vers la création contemporaine ce qui permet un va et vient très intéressant avec Sharjah qui a une dynamique très différente en abritant 18 musées réunis sous l’autorité de l’Autorité des Musées de Sharjah. Cet émirat s'investit dans une approche publique des institutions culturelles. Il faut également noter l’investissement de la Fondation de Sharjah qui organise sa biennale et le March Meeting qui est un événement annuel international. Ces évènements permettent la cohabitation de différents espaces. Cela peut paraitre un peu déroutant mais tout cela s’organise de manière très spontanée.

Le partenariat noué entre la Barjeel Art Foundation et le Musée d’Art de Sharjah est inédit puisqu’il instaure sur le long terme une collaboration entre une institution privée et publique. Comment a émergé l’idée de cette collaboration ?
Le Maraya Center de Sharjah avait mis à notre disposition depuis 2010 une petite galerie où nous organisions nos expositions. Cette année nous avons rendu l’espace après une dernière exposition consacrée à l’artiste Paul Guiragossian pour leur laisser instaurer leur propre programmation. Depuis une première collaboration en 2016, nous avons entretenu de bonnes relations avec le Sharjah Art Museum avec qui nous avons beaucoup de point commun car nous voulons partager l’art de la région avec le grand public. Entre temps, nous avons développé un programme d’exposition internationale depuis 2013 au Moyen-Orient (Amman, Alexandrie, Téhéran) mais aussi plus loin (Paris, Londres, Singapour, Washington, Yale, New York). Mais ce qui nous importait était de ramener la collection à Sharjah pour que le public local puisse en profiter car certaines de nos œuvres ont développé une certaine notoriété comme Martyr’sEpic de KadhimHayder. Il est plus simple de les rassembler dans un musée où elles sont faciles d’accès.
Nous avions donc trois options : Soit créer notre propre musée, soit poursuivre nos expositions internationales ou enfin trouver un lieu qui puisse héberger notre collection. Et puis nous avons pensé au Sharjah Art Museum, fondé en 1997, qui se trouve à quelques pas de nos bureaux, qui était le premier musée d’art du Golfe ouvert au public. Nous avons donc convenu d’un accord consistant en un prêt de cinq ans, qui pourrait être prolongé pendant lequel nous exposerons une sélection d’œuvres de notre collection basée sur l’idée de notre fondateur Sultan Al Qassemi qui nous rappelle qu’à travers la production d’art visuel on peut apprendre l’histoire de la région. Le commissariat de cette exposition a été assuré par SalwaMikdadi qui est une chercheuse de NYUAD. C’est une pionnière dans l’étude de l’art arabe. Nous voulions collaborer avec elle depuis longtemps et ce projet était l’occasion parfaite puisqu’elle très attachée à l’idée de rendre accessible dans un musée public une collection privée.

Pourquoi avoir développé ce programme en relation avec des institutions internationales ?
Notre envie de proposer un programme international faisait partie de notre vision et le but était de mettre en évidence le principal atout de la Fondation Barjeel qui est sa collection pour initier une discussion sur l’art du monde arabe. Sultan Al Qassemi le fondateur de Barjeel mentionnait avec beaucoup d'humour récemment qu’on caricature les Emirats comme importateurs d’art quand nous sommes connus pour l’exporter. En effet, nous nous sommes rendus compte que beaucoup d’institutions autour du monde pensent de manière plus globale en étant intéressées par les artistes d’Afrique ou d’Asie reste que beaucoup n’ont sont pas conscience qu’il existe une histoire de l’art du monde arabe. Barjeel Art Foundation est une petite institution mais à notre niveau nous avons pu faire un premier pas qui sera suivi, nous l’espérons, par des chercheurs, des curateurs, des institutions qui peuvent piocher des histoires ici et là. Nous avons organisé des expositions dans des universités américaines qui nous ont permis d’exposer les étudiants et les professeurs à l’art du monde arabe mais également de publier des ouvrages. Il était également important de créer des relations avec des musées de la région pour tenter de connecter une région divisée. En réalité, il a été plus compliqué d’organiser ces expositions dans le monde arabe plutôt qu’en Europe en termes d’assurance ou encore de transport mais tout cela nous a permis de développer une méthodologie que d’autres institutions pourront suivre.

Les Emirats Arabes Unis ont été l’un des premiers pays à prendre part à ce renouveau culturel avec la construction de nouveaux musées en rupture avec l’offre traditionnelle émiratie. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
J’ai grandi au Koweït où il y a quelques activités culturelles mais rien à l’échelle de ce qui se développe à Abu Dhabi. Je me demande avec un peu de jalousie ce que cela aurait été pour moi, en tant qu’étudiant, d’aller dans un endroit tel que le Louvre. Le bâtiment est un spectacle à part entière, il y a des pièces très particulières sur les religions, la sculpture, la peinture du monde entier. C’est le Louvre comme à Paris mais pensé de manière plus internationale et hybride. C’est comme cela qu’Abu Dhabi s’est distingué de ce qu’il se passe à Dubaï ou à Sharjah. L’objectif est plus porté sur l’éducation et cela devient une ressource pour le peuple.

Peut-on parler d’une culture muséale émiratie ?
Je pense qu’il est difficile de parler d’une culture muséale émiratie puisque cela dépend encore de chaque ville. Sharjah était l’une des premières villes à avoir un musée, un cinéma et c’est ainsi que l’offre culturelle s’est développée. Si on pense à la culture muséale d’une ville comme Paris ou Londres c’est très différent puisqu’il y a aussi de nombreuses institutions soutenues par le secteur public. Il est difficile de traduire ce phénomène et cela demande une analyse plus approfondie. Une conférence tenue à Bahreïn en 2017 intitulée “Museum in Arabia” a débattu de ce sujet avec des chercheurs et des professionnels qui ont tenté de répondre à cette question concernant les Emirats. C’est une question très disputée !

Comment le musée qui est une institution occidentale a été adapté ou repensé pour le monde arabe ?
Je me posais cette question récemment et j’ai découvert que le premier musée de l’Histoire avec été créé par une princesse babylonienne. C’est plutôt plaisant de penser que la première curatrice était une femme de Mésopotamie il y a plus de 2000 ans ! A l’époque on collectionnait déjà les objets et les œuvres d’art pour les présenter ensemble. Si on prend l’exemple de la Grande Bretagne, la Tate Modern ou le V&A étaient des collections privées qui ont été données à l’état avant de devenir les institutions qu’elles sont aujourd’hui après leurs nationalisations. Les musées doivent repenser l’exposition de ces objets du monde entier dans un lieu unique, puisqu'on est sorti du schéma où une puissance domine une autre. C’est le challenge du musée d’Abu Dhabi. Cela a pris du temps mais la même chose se passe avec Sharjah. Les musées sont très différents de ce qui existe en Europe ou aux Etats-Unis. Ici, ce sont de petites institutions qui travaillent ensemble pour interpréter l’Histoire et la culture à travers des pratiques du monde entier.

 


 

AUTEUR DU DOSSIER : Léa Vicente
 

Assistante de collection pour la fondation Dar El-Nimer à Beyrouth, Léa Vicente est diplômée d’un master en droit du patrimoine et du marché artistiques de l’Université́ Panthéon-Assas à Paris, elle est également spécialisée dans les arts de l’Islam grâce à l’obtention d’un Master 1 dans cette discipline de l’Université́ Paris-Sorbonne. Journaliste culturelle pour plusieurs médias français et libanais, elle est à l'affût des pratiques culturelles émergentes du monde arabe et observe avec attention leurs évolutions.


PHOTOS : Samir Nicolas Saddi
 

Samir Nicolas Saddi est architecte, photographe et chercheur avec plus de40ans d’expérience internationale (dont 25 ans passés dans plusieurs États du Golfe : Arabie, Qatar, Émirats, Kuwait...). Travaille depuis 2004 dans la gestion de projets de musées dont le Musée d’Art Islamique et le Musée National au Qatar, le Musée du Louvre Abu Dhabi, le Musée de la Monnaie de la Banque du Liban, le Grand Musée Egyptien ainsi que d’autres musées en Arabie et au Kuwait. Il est aussi fondateur d’ARCADE ou Atelier de Recherche et de Communication sur l’Architecture Durable et l’Environnement. ARCADE est une plateforme de recherche et de publication sur l’architecture traditionnelle et contemporaine dans le monde arabe. Depuis sa création en 1976, ARCADE a bâti une librairie considérable d’images et de données sur l’architecture vernaculaire et contemporaine du monde arabe et de l’Afrique.

 

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