Quand on pense à Nada Sehnaoui, le mot « lumière » est celui qui nous vient à l’esprit en premier. Il suffit de regarder ses yeux aussi mutins que rieurs et mettre à l’épreuve son élan pour la vie, toujours teinté d’idéalisme, pour réaliser que nous avons affaire à une femme qui sort du lot. Nada mène les batailles de ses causes à travers son art qui ne ressemble à aucun autre. Singulier comme elle. Pluriel comme les multiples facettes de son expression. Elle interprète ses créations et les réinterprète à sa façon, comme une alchimiste qui concocte une potion magique, pour se donner des forces, mais aussi et surtout pour en distribuer. Parce que la générosité est une des nombreuses qualités dont Nada Sehnaoui est dotée. Son exposition actuellement en cours à la Galerie Tanit* s’intitule « How many, how more » ? Interrogeant encore une fois et s’interrogeant en même temps sur la violence récurrente qui nous entoure ; violence laquelle, même si elle prend des masques différents, n’en est pas moins une, indivisible et nuisible. Elle revisite un thème plusieurs fois creusé dans ses travaux antérieurs, à savoir celui du travail de mémoire sur la guerre libanaise et celui de la résilience. Avis pour les retardataires qui n’ont pas encore eu l’opportunité de visiter cette incontournable installation : une conversation entre l’artiste et Maha Sultan se tiendra le samedi 4 mai de 12 h à 13 heures pour clôturer cette belle exposition en beauté !
Pourquoi le titre « How many, how more » ?
C’est l’interrogation qui ne me quittait plus lorsque cette violence assourdissante a repris tout autour de nous et ce pour quoi j’ai construit le travail exposé à la galerie Tanit. C’est cette même phrase qui ne me quittait plus lorsque le passage s’est fait pour moi d’une interrogation collective à celle plus privée relative à nos vies somme toute courtes et certainement limitées dans le temps.
Quel peintre vous a marqué le plus au cours de votre apprentissage et est-ce qu’il a influencé votre peinture ?
Matisse pour la virtuosité et la joie de ses couleurs, Picasso pour l’extraordinaire liberté de regarder différemment. Christo pour la vision et le courage d’habiter l’immensité. Aussi Cy Twombly pour le grand art du blanc visité par des traces. Les influences subtiles sont peut-être là.
Vous avez, à plusieurs reprises, mis en exergue à travers vos installations, le travail de mémoire de l’après-guerre civile qui n’a jamais été fait. Qu’est-ce qui bâillonne selon vous la parole des Libanais ?
C’est le Liban des milices au pouvoir qui a imposé le silence. Les Libanais eux parlent de plus en plus, des artistes, des écrivains, des cinéastes, des historiens, des journalistes, des militants de la paix. Leurs voix sont de moins en moins marginales.
Si vous deviez choisir une seule pièce de votre exposition actuelle, ce serait laquelle et pourquoi ?
Comme pour les enfants, c’est une question presque impossible, d’autant plus ici qu’une œuvre génère presque la suivante dans la mesure où l’expérience de l’une suscite le désir de l’émergence de l’autre. C’est pourquoi si je dois jouer le jeu, je dirais la dernière toile de la série « How Many How Many More », la monochromatique toute en rouges, avec un s, même si la grammaire ne le permet pas.
Vous êtes une actrice active au sein de la société civile prônant l’instauration d’un État de droit laïc, loin de tout confessionnalisme. Est-ce que cela vous semble (un jour) réalisable ?
Notre projet est celui d’un État de Droit Civil et non pas laïc, il suffit pour cela non pas d’inventer la poudre, mais d’appliquer la constitution, un Sénat pour représenter et sécuriser les angoisses communautaires, et un parlement non confessionnel pour représenter les citoyens.
Cela me semble inévitable vu que le système actuel ressemble au cadavre d’un homme dont la famille a décidé non pas d’enterrer, mais de momifier. La question n’est donc pas tant SI cela est réalisable, mais plutôt QUAND ? Plus cela tarde et plus la facture à tous les niveaux, économique, éducatif, environnemental, culturel, social, sera de plus en plus lourde.
Si vous aviez le pouvoir magique de changer le monde, que feriez-vous ?
Je donnerais à chacun le don de la parfaite empathie. Si un Bachar El-Assad ou un membre de l’État Islamique, pour prendre des exemples proches, avaient la capacité de sentir la douleur qu’ils infligent à autrui, la violence n’aurait pas été une option. Plus proche encore, ces hommes au pouvoir qui systématiquement saignent notre pays pouvaient expérimenter la douleur qu’ils infligent à des millions de Libanais, le Liban Suisse du Moyen-Orient cesserait d’être un mythe tristement ridicule.
* Du 28 mars au 4 mai 2019 de 11h à 19h. Samedi de 12h à 17h. Adresse : East Village Building- Ground Floor- Armenia Street- Mar Mikhaël.
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