En 1868, lorsque la frénésie autour des expéditions archéologiques atteignait son paroxysme, était fondé le musée archéologique de l’Université Américaine de Beyrouth, plus ancien musée du Liban et troisième plus vieux du Moyen-Orient après le Caire et Istanbul. Devenu témoin de l’Histoire du pays et a fortiori de son histoire muséale, le musée célébrait son 150ème anniversaire en 2018.
Devenue nouvelle destination “artistique” dans une région où la liberté d’expression reste un obstacle à la création, Beyrouth s’attire les faveurs de la critique internationale. La prochaine décennie s’annonce déterminante dans la stabilisation d’une institutionnalisation de la culture libanaise, certes, plus que centenaire mais pourtant toujours jeune tant son enracinement reste complexe et inachevé.
Entre fascination pour l’Antique et émulation pour la création contemporaine, qui a fait du Liban l’un des premiers pays levantins sur le devant de la scène artistique internationale, le Ministère de la Culture, s’est jusqu’à aujourd’hui investi pour la création et la préservation de musées d’antiquités. Dans une pratique principalement héritée de l’Empire Ottoman, s’est creusé un fossé entre un monde muséal tourné vers l’Antique et un marché de l’art tourné vers l’art moderne et contemporain.
“Aujourd’hui le Musée National de Beyrouth est celui qui fait notre fierté, détruit pendant la guerre, il est redevenu le musée principal”,
nous explique Anne-Marie Afeiche directrice du musée.
Ce musée d’antiquités, au destin incroyable -resté fermé entre 1975 et 1997- expose les plus belles découvertes des fouilles menées par la Direction Générale des Antiquités de la préhistoire à la période Mamelouke. Métaphore incarnée, le Ministère de la Culture s’est donc entièrement dédié à ce musée, qui renaît de ses cendres grâce à plusieurs rénovations, dont la dernière en date devrait s’achever l’année prochaine. Une nouvelle annexe - dont la construction a été financée par la Fondation Nationale pour le Patrimoine - accueillera, entre autres, expositions temporaires et événements de médiation. En effet, l’un des buts premier de la Direction Générale des Antiquités est de sortir du champ de l’archéologie.
“Nous devons élargir le monde muséal” souligne Anne-Marie Afeiche “nous devons aussi tendre vers des musées d'ethnographie, de sciences naturelles ou autre.”
Un grand absent reste néanmoins trop présent... Faute de n’avoir jamais ouvert un musée d’art, et face à la multiplication d’institutions privées artistiques, le Ministère de la Culture ne pouvait rester silencieux. En 2016, il dévoilait une partie de sa collection d’œuvres d’art (800 œuvres pour un inventaire de 1800), sous forme d’un musée virtuel (
), formé de salles de musées aux murs de couleurs bigarrées rappelant les salons d’art parisiens du XIXème siècle. Cette vaste collection dément un potentiel désintérêt du Ministère de la Culture pour l’art. Mais pourquoi ce musée n’existe-t-il pas en pierre ? L’insuffisance de fonds alloués à la culture est la première réponse probable à cette question, néanmoins un autre chantier vient questionner la pertinence de cet argument.
Depuis son ouverture en 2017, Beit Beirut ne parvient pas à constituer un comité scientifique et créer une programmation cohérente. Le bâtiment, exproprié par la municipalité de Beyrouth en 2003, à la suite d’une mobilisation sans précédent menée par l’architecte et activiste Mona Hallak, s’est vu offrir, sous l’égide de la municipalité, un lifting à 18 millions de dollars. Le but : faire de cette maison historique un musée national de la mémoire. Le projet n’ayant pas encore abouti, l’espace est devenu un lieu d’exposition identifiable dans la capitale.
“La plupart des musées au Liban sont privés. Il y a un intérêt du public pour ces institutions ce qui encourage des familles à ouvrir leur propre musée”,
indique Leïla Badre directrice du musée archéologique de l’Université Américaine de Beyrouth.
En effet, parmi les plus beaux musées du pays et de Beyrouth, les collections familiales ont pris le relais pour faire de l’art une affaire de famille. Sursock en est l’exemple le plus éclatant. L’actuel musée, ouvert au public en 1961, est niché dans l’ancienne somptueuse demeure de feu Nicolas Sursock. En plus d’exposer la collection familiale, le musée accueille également des expositions temporaires d’art moderne et contemporain. Autre famille, autre projet : la famille Audi, notamment célèbre pour sa fondation qui abrite le Musée du Savon à Saïda, a transformé la Villa Audi, anciens quartiers généraux de la banque, en un musée des mosaïques désormais ouvert au public de manière permanente et accueillant par intermittence des expositions temporaires.
Les particuliers, également, grâce à leurs donations, ont permis le développement d’un réseau de musées universitaires historique qui a façonné l’offre culturelle de Beyrouth. Bien que très peu soient dédiés à l’art, ils ont servi d’exemple. L’Université Saint-Joseph comprend deux musées l’un sur la préhistoire, l’autre sur les pierres précieuses (le MIM Museum) fondé sur l’initiative de Salim Eddé qui a réuni cette collection incroyable. De la même manière, en plus de ces deux musées archéologiques, sur le campus et dans la crypte de l’église Saint-Georges, deux centres d’art moderne et contemporain, ont été ouvert par l’Université Américaine de Beyrouth.
Ces diverses initiatives ont amorcé la mise en place d’une culture muséale dans la vie publique libanaise. Si un sentiment de manque d’identification persiste face à ces institutions au sein de la population libanaise, de grands bouleversements portés par l’ouverture de plus d’une dizaine de musées en cours de construction dans le pays finiront probablement par s’inscrire dans le paysage culturel libanais.
AUTEUR DU DOSSIER : Léa Vicente Assistante de collection pour la fondation Dar El-Nimer à Beyrouth, Léa Vicente est diplômée d’un master en droit du patrimoine et du marché artistiques de l’Université́ Panthéon-Assas à Paris, elle est également spécialisée dans les arts de l’Islam grâce à l’obtention d’un Master 1 dans cette discipline de l’Université́ Paris-Sorbonne. Journaliste culturelle pour plusieurs médias français et libanais, elle est à l'affût des pratiques culturelles émergentes du monde arabe et observe avec attention leurs évolutions. Samir Nicolas Saddi est architecte, photographe et chercheur avec plus de40ans d’expérience internationale (dont 25 ans passés dans plusieurs États du Golfe : Arabie, Qatar, Émirats, Kuwait...). Travaille depuis 2004 dans la gestion de projets de musées dont le Musée d’Art Islamique et le Musée National au Qatar, le Musée du Louvre Abu Dhabi, le Musée de la Monnaie de la Banque du Liban, le Grand Musée Egyptien ainsi que d’autres musées en Arabie et au Kuwait. Il est aussi fondateur d’ARCADE ou Atelier de Recherche et de Communication sur l’Architecture Durable et l’Environnement. ARCADE est une plateforme de recherche et de publication sur l’architecture traditionnelle et contemporaine dans le monde arabe. Depuis sa création en 1976, ARCADE a bâti une librairie considérable d’images et de données sur l’architecture vernaculaire et contemporaine du monde arabe et de l’Afrique. |
ARTICLES SIMILAIRES
L’univers onirique de Yolande Naufal à Chaos Art Gallery
09/04/2024
À la découverte des « Murmures de la nature » de Ghassan Zard à la Galerie Tanit
Garance Fontenette
28/03/2024
Espaces en évolution: l’art de Nadim Karam
28/03/2024
Oumaya Alieh Soubra, Puissante et Inspirante
Brigitte Labbé
27/03/2024
Bassam Geitani nous emmène « Dans le creux du chaos » à la Galerie Janine Rubeiz
Garance Fontenette
22/03/2024
Je vous écris du Caire : Inauguration de la galerie d’Art Al-Mashhad
Léa Samara
14/03/2024
Mona Nahleh explore les « réalités parallèles » à la galerie Maya Art Space
Garance Fontenette
13/03/2024
PLONGEZ-VOUS DANS LES PAGES DU AC #599
Myriam Nasr Shuman
07/03/2024
Collaboration entre Artists of Beirut et l’entreprise française Inaltera
Garance Fontenette
04/03/2024
Vente de la collection de Nada Takla
Garance Fontenette
29/02/2024