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Promenade à Raouché

06/04/2021|Nada Bejjani Raad

Et l’angoisse paraît quand se défont l’une après l’autre les mailles de la conscience. Comme dans « Les vieux » de Brel, ils se tiennent par la main. Lui est plus serein et entonne un refrain qui remonte à l’époque ottomane : 

ضاع البشلك من عبّي

مدري انا ضيّعتو 

[1]مدري من إلّة حظّي

 

Le prêche du Vendredi résonne dans un quartier lépreux mangé de soleil. Un monde dévasté, en ruines et livré à son sort. Et la voix de l’imam qui vitupère et tonne et s’abat sur les hommes comme la colère divine. Rien ne subsiste ici que le passé en ruine et ce blâme jeté à la face des croyants. Tel une religion qui prospère sur la misère et le dénuement. 

 

Un nouveau jour se lève sur les villages semés comme des traînées luisantes. La montagne se décline en tons incertains pendant que s’avance dans le ciel un nimbostratus.

 

Et l’angoisse, tenace sous la dent qui se glisse dans la couche et se lève avant l’heure. 

Et le droit d’exister qui tient à un passeport. Un passeport sanitaire pour franchir la frontière entre soi et soi-même et décompter les heures qui nous restent à vivre.

 

L’amertume est de mèche avec la douceur. Et la bigarade plus douce quand la saison avance. A l’aube, le chant des oiseaux pétille comme des bulles. Le soir, au couvre-feu, la ville est un théâtre d’ombres. Et le linge qu’on étend se lave aux rosées du matin et aux gelées du soir. 

Au Liban, marcher en funambule entre la vie qui va être et celle d’avant. 

 

Pour être en phase avec les vieux, il faut s’extraire du temps. Marquée par l’autorité, pour elle l’interdit est un garde-fou qui la prémunit de la culpabilité du bonheur. Toute sa vie, elle fut le maître et l’élève, l’épouse et la nonne, l’enfant qui n’a pas grandi. Elle a tant souscrit à la loi de son mari qu’elle est trop usée pour comprendre qu’elle a eu raison de lui. 

 

Battre le pavé sur la corniche, en direction du phare et noyés de turquoise, poser à Raouché pour la photo. 

Céder la place aux manifestants.

 

ضاع البشلك من عبّي

مدري انا ضيّعتو 

مدري من إلّة حظّي

 

La montagne vers le jour déroule ses volutes et l’angoisse, au matin, renaît avant l’heure. 

Dans une vie où il faut succéder à soi-même. 

Chaque lumière est cousue d’ombre, la peine ourle la joie. Avons-nous célébré la noce dont il faut faire le deuil ? 

 

Le fond de l’air est doux, presque estival. 

Sur la ville crépitent, au soir, les lumières. 

Le contraste entre cette nature clémente et ce qui nous attend. Ouvrir au matin les volets pour déflorer la nuit. La montagne au loin est constellée d’étoiles et la ville coule comme une rivière de diamants. 

 

Reprendre le chemin de l’exil. 

Tandis que s’envole le cours du dollar. 

 

Dis, qu’as-tu fait de ton pays ? 


 

[1] Perdu le beshlik que j’avais

Ou bien c’est moi qui l’ai perdu

Ou bien de chance j’ai manqué

 

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