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Orientalisme et musique occidentale

25/05/2020|Zeina Saleh Kayali

L’Orient a toujours fasciné l’Occident. Cette découverte commence à s’opérer au moment des croisades au 11e siècle. Elle continuera avec François 1er qui, au 15e siècle, pour contrer l’influence de Charles Quint, conclut un accord diplomatique avec le Sultan ottoman Soliman le magnifique. Elle connaîtra son apogée au 18e siècle, car la philosophie des lumières qui prône la tolérance et l’ouverture vers d’autres cultures, verra éclore un vrai mouvement artistique orientalisant.

 

Mais c’est un Orient un peu bouffon un peu ridicule dont il s’agit. C’est le "comment peut-on être persan" de Rica dans les Lettres persanes de Montesquieu, le Mamamouchi du bourgeois gentilhomme totalement burlesque et le méchant et ridicule Osmin, geôlier de la belle Constance, dans l’Enlèvement au sérail de Mozart. On appellera d’ailleurs ce mouvement les « turqueries » avec une sérieuse pointe de dérision. 

 

En revanche, l’orientalisme du 19e siècle, lui, n'a strictement rien à voir avec ces turqueries bouffonnes. Il sera considéré comme un courant à part entière. Cet engouement commence au début du 19e siècle au moment de la campagne d’Egypte de Napoléon 1er (1798-1801) et trouve son épanouissement dans les années 1830. Dès lors, l’Orient devient « tendance » et le traditionnel voyage que tout intellectuel se doit de faire et qui se déroule habituellement en Italie et en Grèce, commence à se déplacer vers l’Orient. La vision occidentale de l’Orient est beaucoup plus romantique, mystérieuse, voluptueuse, sensuelle, voire violente, C’est l’Orient des poèmes de Victor Hugo, des récits de voyage de Nerval et de Lamartine, des tableaux d’Ingres et de Delacroix et des opéras tragiques de Massenet. Faisons ensemble un petit tour d'horizon de cette évolution de l'orientalisme dans la musique occidentale.

 

 

1- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Marche pour la cérémonie des Turcs (Le Bourgeois gentilhomme)

Sous le règne de Louis XIV, ceux que l'on appelait "les deux Baptiste", Jean-Baptiste Lully, surintendant de la musique du roi et Jean-Baptise Poquelin (Molière), ont constitué un duo infernal, fusionnel et conflictuel. Ils inventent le concept de la "comédie ballet" et ensemble créeront cinq spectacles dont le plus connu est le Bourgeois gentilhomme. M. Jourdain que l'on qualifierait aujourd'hui de snob, ou nouveau riche, croit recevoir chez lui un "grand turc" de noble naissance, alors qu'il s'agit en fait d'une farce grotesque organisée par le prétendant de sa fille.

 

2- Jean-Philippe Rameau (1683-1764) Danse des sauvages (Les Indes galantes) 

Il s'agit ici d'Inde de pacotille, prétexte à quatre "entrées" (c'est le terme que l'on emploie pour dire "acte" dans les opéras-ballet du 18e siècle)  1- Le Turc généreux, 2- Les incas du Pérou 3- Les fleurs, fête persane 4- Les sauvages. Le tout avec une notion quelque peu relative de la géographie, puisque d'une entrée à l'autre nous oscillons sans états d'âme entre l'Orient et l'Amérique latine (qualifiée d'Inde). Bref tout cela n'est évidemment qu'un prétexte pour écouter de la belle musique alors appréciez l'un des plus magnifiques - et des plus célèbres ! - airs de la musique baroque française. 

 

3- Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) L'enlèvement au sérail 

Nous sommes toujours ici dans la vision ridicule de l'Orient, notamment incarnée par Osmin, geôlier de la belle Constance, prototype de l'ottoman cruel, qui chante avec une voix de basse profonde alors qu'il censé être un eunuque. Le Sultan Selim quant à lui, n'échappe pas au stéréotype de l'oriental libidineux qui désire la jolie blonde occidentale, mais à la fin de l'opéra il est racheté par sa clémence puisqu'il autorise Constance à repartir avec son fiancé Belmont, venu la délivrer au risque de sa vie. Nous sommes ici dans la scène finale de l'opéra, quand Belmont remercie le sultan Sélim pour sa générosité (préfiguration de La clémence de Titus, autre importante oeuvre de Mozart). 

 

4- Giuseppe Verdi (1813-1901) Marche triomphale (Aida)

Cet opéra, commande du Khédive Ismail Pacha pour l'inauguration du canal de Suez en 1869, ne fut finalement représenté à l'opéra du Caire que deux ans plus tard ! Verdi qui souhaitait que cet opéra s'adresse au plus grand nombre, n'était pas satisfait de le voir joué uniquement devant un parterre d'aristocrates "à l'allure mondaine". Ce passage, sans doute le plus connu de l'opéra, intervient au deuxième acte, quand, sur la grand place de la ville de Thèbes, le peuple salue chaleureusement l'arrivée du roi d'Egypte. 

 

5- Camille Saint Saens (1835-1921) Bacchanale (Samson et Dalila) 

Compositeur orientaliste pas excellence, Saint Saens qui a vécu en Algérie et en Egypte, a dans son catalogue de très nombreuses pièces incarnant le rêve d'Orient de son époque. Samson et Dalila est le parfait exemple de l'opéra à l'argument biblique (qu'un grand nombre de compositeurs ont également adopté, comme Massenet ou Verdi). La Bacchanale intervient au moment où les Philistins célèbrent (bruyamment) leur victoire. Mais bientôt le temple où ils festoient, par la force retrouvée de Samson, va s'écrouler sur eux et les entraîner dans la mort. 

 

6- Georges Bizet (1838-1875) Les adieux de l'hôtesse arabe

On connaît surtout Carmen, le célèbre opéra de Bizet. Et on sait que le compositeur est mort de chagrin car, à sa création, Carmen a été un échec cuisant. Quand on pense qu'aujourd'hui c'est l'opéra le plus joué au monde! Mais à l'époque l'héroïne, libre (pour ne pas dire quelque peu dépravée!) avait choqué la bien-pensance bourgeoise. 

Bizet a lui aussi cédé à la mode orientaliste dans son opéra ‘Les Pêcheurs de perles’ dont l'action se déroule à Ceylan mais ce que je vous propose ici, c'est une mélodie. Le texte est tiré des Orientales de Victor Hugo. Ce cycle de poèmes a été une immense source d'inspiration pour les compositeurs et une référence absolue en matière de littérature orientaliste alors que Victor Hugo n'a jamais mis les pieds en Orient! L'hôtesse arabe fait des adieux déchirants au "voyageur blanc". Mais quel genre d'hôtesse est-ce exactement ? Je vous laisse à vos supputations ! 

 

7- Nicolai Rimski Korsakov (1844-1908) Sheherazade 

Ce poème symphonique est basé sur le célèbre conte où Sheherazade sauve sa vie en racontant au sultan des histoires, le tenant en haleine pendant mille et une nuits. Rimsky-Korsakov a fait partie du groupe des cinq russes qui voulaient s'affranchir de l'influence occidentale pour créer un mouvement musical national. C'est ainsi qu'à travers sa musique, il a permis à l'âme russe de s'exprimer dans toute son authenticité, ce qui ne l'a pas empêché de céder lui aussi à la mode orientaliste du 19e siècle! Il était également célèbre pour ses orchestrations et notamment pour La Nuit sur le mont chauve de son collègue (et néanmoins ami) Modeste Moussorski, orchestration qui a donné un souffle nouveau à l'œuvre. 

 

8- Natacha Atlas mon amie la rose

Cette chanson de Françoise Hardy (1964) a été reprise par Natacha Atlas sur un mode totalement orientalisant avec tous les mélismes et les trémolos nécessaires à ce type de musique! 

 

 

 

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