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Confessions en temps de Corona : Maya Nassar

20/03/2020

Maya Nassar, écrivaine, copywriter et co-scénariste d'un film de cinéma en cours d'écriture.

 

Pensez-vous que cette situation va amener à un changement ? et si oui,comment?

Le changement s'est déjà effectué à l'intérieur de nous. Plus qu’un changement, c’est un éveil. L'être humain a compris qu'il est tout petit devant l'immensité d'un aussi grand danger. Il a compris que ni l'argent ni le pouvoir peuvent le sauver d'une maladie fatale. Il a compris que rien ne vaut plus que la chaleur humaine, qu'une embrassade, une accolade, un baiser. Il a compris que la distance entre lui et son frère humain trace la distance entre lui et le bonheur. Il a compris que la nature est à respecter, que la mer n'est pas faite pour être contenue dans une bouteille, que l'air n'est pas fait pour être pollué, que les fleurs ne sont pas faites pour être cueillies, mais arrosées. Il a compris que la liberté est un cadeau de la vie, la liberté d'ouvrir sa porte et sortir de chez soi juste pour aller acheter un journal et lire dans la colonne des faires-parts dans une première annonce : le Coronavirus est mort.

 

De quoi est fait votre quotidien en temps de confinement ?

Dans ma prison involontaire (et pourtant tant rêvée), je m’évade dans les livres, la musique, mon stylo et mon cahier et je respire mieux en écoutant la voix de ceux que j'aime au téléphone. Je cuisine comme je l’ai toujours fait, je passe plus de temps avec mes enfants, je profite de longues discussions avec ma famille, parents et amis dans les quatre coins du monde, moi qui n'aime pas parler au téléphone ni faire des appels vidéo. Chaque trois ou quatre jours, je change la couleur de mon vernis (c’est la seule peinture que je sais faire, faute de talent), je regarde mes mains et je les imagine serrant fort celles des autres. Je redécouvre aussi dans les groupes WhatsApp et sur la toile, des personnes que je ne connaissais pas assez bien, je les trouve belles et attachantes. En temps de Corona, aucun facteur n’aurait osé nous livrer des lettres et pour cela, pour la première fois, je suis reconnaissante à une certaine technologie.

 

Des petits bonheurs simples d’une vie active, qu’est-ce qui vous manque le plus ?

Les petits bonheurs sont grands, immenses. Aller à l'académie de danse les lundis et les mercredis, chausser mes talons argentins et danser le tango. Attendre le message de mon mari chaque jeudi soir qui m'envoyait à 21h un mot pour m’informer qu’il est arrivé. Maintenant il est bloqué dans un autre pays et il va falloir attendre encore des semaines avant de recevoir ce mot, « Landed ». Aller voir mes parents le week-end à la montagne, sentir le printemps éternel dans le cou de ma mère et me sentir reine du monde dans le giron de mon père. Maintenant je n’ose pas aller leur rendre visite parce que je me considère porteuse du virus même si je ne le porte pas et j’ai peur pour eux. Aller au théâtre dimanche soir et applaudir les comédiens. Boire un café ou du vin un après-midi de n’importe quel jour, en tête à tête avec un proche ou un ami. Le tête-à-tête me manque. Le cœur-à-cœur me manque. Le corps-à-corps me manque. L'autre me manque, mon autre ...

 

Qu’est-ce qui ne vous manque pas ? 

Je n'ai jamais aimé le bruit, je suis du silence. Les voitures et leurs klaxons m'ont toujours dérangée, mais j'avoue que le bruit de ma ville me manque, son cri, ses hurlements. Les vendeurs ambulants me font moins peur que les sirènes des ambulances... ce silence ambiant imposé m'effraie et fait que tous les jours ressemblent à dimanche, sauf qu'on ne met pas nos habits du dimanche et demain, le bus de l'école ne s'arrêtera pas devant l'immeuble... en fait, ce qui ne me manque pas, ce sont les mails que le lycée m'envoyait pour m'informer que mon fils est arrivé en retard à l'école. Mon benjamin et mon cadet sont avec moi. Mon aîné est bloqué dans un pays du golfe où il travaille... cette déchirure insupportable…

C’estle manque qui ne me manque pas...

 

Pour tromper l’ennui que suggérez-vous à nos lecteurs comme :

Tant qu'il y a des livres, des chansons et des films de cinéma, impossible de s'ennuyer. Je me permets de vous conseiller si vous aimez bouquiner, de lire Christian Bobin, le livre de votre choix. Cet auteur est magique, très beau dans sa simplicité et sa poésie, ces écrits sont un anti stress garanti. À ceux qui aiment le cinéma, je vous conseille de redécouvrir les cinéastes libanais pour mieux comprendre notre pays et notre peuple et redécouvrir nos artistes. Pour ceux qui aiment danser, dansez même seul et ne vous inquiétez pas, les autres ne sont pas là pour vous juger et, s’ils le font, on s’en fout pour ne pas devenir fou. À ceux qui aiment la musique, ah mais qu'est-ce que je raconte !? Tout le monde aime la musique ! N'éteignez pas la musique, sauf si à côté de chez vous il y a un arbre avec des oiseaux ou un ruisseau, sinon vous allez mourir. Malheureux.

 

Un mot d’encouragement

Profitez de ce confinement pour vous découvrir et vous rappeler qui vous êtes et ce que vous aimez et redécouvrir les personnes qui comptent le plus pour vous, parce que je crois que cette chance ne se répétera pas. Après ce cauchemar et quand tout sera fini et, tout sera fini, nous allons chacun se regarder dans le miroir et se dire : la vie est belle ... puis nous nous retrouverons dans les rues, nous nous jetterons les uns dans les bras des autres, et nous continuerons la main dans la main, notre Révolution... 

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