Du 12 au 26 juin, la galerie Mark Hachem expose Interference green, une vaste exploration des variations de la couleur verte par l’artiste syrienne Sara Shamma, peintre de l’intime et de l’inconscient.
Recréer le vert
Interference green, un nom d’exposition qui tombe sous le sens quand Sara Shamma se propose d’explorer la couleur verte, d’autant plus que l’interference green (traduisez « vert d’interférence ») est l’outil principal de cette exploration. Un peu de physique : on dit qu’une couleur est interférentielle quand sa perception varie selon son exposition à la lumière et l’angle depuis lequel on l’observe. Un produit épatant, qui s’achète désormais en tubes comme l’acrylique, et semble animer la toile et incite le spectateur à une contemplation active de l’œuvre. Sous un effet de brillantine les motifs de la toile adoptent toutes les nuances de vert à mesure qu'on s'en approche ou qu'on s'en éloigne. Vu d’un côté, la toile prend un ton grisâtre, puis glisse vers l’émeraude prise de face, et fonce au sapin quand on passe au côté opposé. Parfois, le vert ne se laisse débusquer que depuis un certain angle.
Côté couleur, la peintre syrienne n’en est pas à son coup d’essai. De « fanatique du rouge », c’est naturellement qu’elle s’est mise au vert il y a deux ans, « comme les enfants qui choisissent systématiquement une couleur opposée à celle qu’ils viennent d’utiliser ». Alors dans un cadre sur fond de sang se détache une silhouette vert pomme, un contraste saisissant qui vous imprime le motif sous les paupières. Sara expérimente la puissance de la couleur, ses multiples déclinaisons, tout cet infini qu’on restreint dans le terme de « vert ». Et dans la subtilité de ses diverses occurrences, le vert se décompose, se décline jusqu’à disparaître parfois. « Savoir que certains animaux ne perçoivent pas les couleurs de la même manière que nous m’a toujours fasciné. Depuis mes 5 ans, je suis convaincu que je peux créer des couleurs, et ici mon but est de trouver le vert qui n’existe pas encore. »
Stimuler le subliminal
Dans cet entrelacs de nuances, ces successions de variations, les peintures de Sara Shamma prennent une surprenante profondeur, comme un gouffre depuis lequel surgissent des visages, des corps et des mains évasés, fuyants, comme engourdis. Des silhouettes qui n’appartiennent à personne, images ébauchées du subconscient de l’artiste, qui s'allongent sur la toile au fil de ses introspections. « J’essaie de fermer mon esprit complètement, et de ne pas utiliser de mots, je ne pense pas en mots mais en image, ce qui apparaît spontanément. » Un subconscient qui a ses obsessions, ses récurrences, les mains en particulier. Dans ce vert en décomposition, elles s'épanouissent, pigmentées de mille couleurs qui percent le cadre. Plus encore que les yeux ou que les traits du visage, elles sont, selon Sara, le témoignage le plus fidèle de l’identité d’un individu.
Miroir de son for intérieur, c’est son intime que Sara Shamma répand en vert, et qui prend, au fur et à mesure, une unité, qui se sépare de l’artiste et la rejette hors de la composition. Et c’est lorsqu’elle a le sentiment d’être passée de créatrice à spectatrice que Sara sait que le travail est achevé. Ces ébauches inconscientes ne lui appartiennent déjà plus, accrochées aux murs d’une galerie, elles frappent par leur mystère la subjectivité de qui les contemple. « Je voudrais que ma peinture reste dans le subconscient des gens, qu’elle s’y imprime, les secoue, leur fasse poser des questions, et peut-être leur en donner les réponses. » Et peut-être que les vibrations lumineuses de cet interference green sont le médium idéal pour se faufiler vers cette intimité.
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