Yara Lapidus a grandi au Liban, bercée par la guerre et par l’art, avant de s’exiler à Paris où elle devient styliste puis chanteuse. C’est seulement aujourd’hui, après avoir bâti sa carrière en France, dans un pays qui l’a adoptée, que Yara Lapidus se produira pour la première fois dans son pays natal, pour un concert le 20 septembre sur la scène du théâtre Al Madina. Un retour attendu, chargé d’émotion.
Dans l’enfance chahutée de Yara Lapidus, l’art est partout. Sa mère, Leyla Nabbout Wakim, peintre libanaise, la dessine enfant, ses longs cheveux noirs encadrant son visage, tandis que son père, Robert Wakim, architecte et sculpteur, lui transmet le goût des formes. Tous deux l’initient à la musique. « J’ai grandi dans une famille d’artistes et de mélomanes. Mon oncle était chansonnier et directeur du Théâtre de Dix-Heures. Mon frère est un féru de musique classique et aurait pu en faire son métier ». Très tôt, l’art devient refuge, puis boussole.
À 6 ans, Yara apprend la guitare, puis le piano. Dans un Liban meurtri par la guerre civile, ses carnets d’enfant se remplissent de poèmes et de pensées, qui deviendront plus tard des refrains. « Ma mère m’a appris à ne jamais m’ennuyer seule. J’ai développé un imaginaire très puissant qui me sert encore aujourd’hui ». À l’école libanaise, elle découvre aussi l’exigence des mots et développe un attachement profond pour la langue française.
C’est à 18 ans que Yara quitte définitivement le Liban. « J’ai toujours vu le Liban comme un homme que j’aurais aimé éperdument mais qui m’aurait trahi, maintes et maintes fois, et que j’aurais toujours pardonné. À 18 ans, enfin, je parviens à m’enfuir ».
Dans l’avion, son walkman vissé aux oreilles, David Bowie en bande-son, Yara s’arrache à son pays. C’est la fin des années 1980, et la guerre civile n’est pas encore près de se terminer.
Installée à Paris, elle étudie à l’École du Louvre puis en école de mode, tout en continuant secrètement le chant et le théâtre, avant de se lancer dans le stylisme. Elle construit en France une carrière brillante, une famille aussi. « Le Liban m’a donné mes racines, la France m’a donné mes ailes ».
Mais en 2010, tout bascule. Une opération tourne mal et Yara perd l’usage de son bras gauche. Cet accident l’oblige, non à se réinventer, mais, au contraire, à renouer avec un désir longtemps tu. « J’étais effondrée. Impossible de dessiner mes modèles. Ma carrière de vingt ans s’écroulait. Et puis, sur les conseils et les encouragements de mon mari, j’ai finalement saisi cette perte comme une opportunité et je me suis lancée pleinement dans la musique ». La musique est pour Yara un rêve de petite fille. Un rêve inavoué. Car elle se souvient encore de la réponse de son père quand, plus jeune, ils regardaient à la télévision les clips de chanteuses américaines. « Papa, moi aussi je pourrais faire cela ? », « N’y pense même pas, ma fille ».
Depuis, Yara chante, en français mais aussi en anglais et en arabe. Elle chante d’abord ses années sombres, les premières de sa paralysie, puis le goût repris à la vie dans son album « Back to colors », sorti en 2022. Elle n’imite pas ses modèles de jeunesse mais trace son propre chemin, explorant la pop et l’électro, teintées d’influences orientales.
Puis, peu à peu, Yara chante le Liban. « Lorsque je suis arrivée à Paris, j’ai eu un rejet, du Liban, qui était pour moi synonyme de peur, de fantômes. Il a fallu que je connaisse vraiment l’exil et que j’aie une nostalgie de ce pays et des années vécues là-bas pour que je chante mon amour pour lui, en arabe ». Après l’explosion du 4 août 2020, elle écrit le poème Yamama, publié dans l’ouvrage collectif Pour l’amour de Beyrouth, puis transformé en chanson dans son dernier album, Orientée.
Avec « ELLI », elle revisite Bowie, « The man who sold the world », dans une version en arabe. Une grande première. Avec cette chanson, Yara chante la paix. Celle qu’elle espérait enfant. Celle qu’elle continue d’invoquer aujourd’hui. À 16 ans, elle écrivait dans ses carnets : « Est-ce normal, maman, qu’à mon âge je ne pense qu’à rester vivante le lendemain ? ».
Désormais, Yara revendique cette double appartenance, à la fois française et libanaise. « Je considère le Liban comme mon père, et la France comme ma mère. La France m’a adoptée, m’a consolée, m’a donné cette douceur ». « Quand nous sommes déracinés, nous finissons toujours par refleurir ailleurs ».
La reprise de Bowie par Yara parvient aux oreilles de Wafa Khochen, programmatrice de radio, qui l’invite à se produire au Liban, sur la scène du théâtre Al Madina. « Ce concert est différent de tous les autres, il est beaucoup plus intime. Pour la première fois, je vais chanter le Liban, devant le public libanais, tout en sachant que nul n’est prophète en son pays. J’ai un trac fou mais aussi une joie immense. »
Entourée d’un nouveau set de musiciens et accompagnée d’une création digitale de l’artiste coréenne Krista Kim, Yara Lapidus espère que ces premiers pas sur la scène libanaise « soient le début d’une longue histoire. »
Crédit photo : Alfredo Piola