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Un chemin vert pour le Liban : de la parole à la terre

MAG

11/06/2025|Elora Hajjar


« L’agriculture libanaise peut et doit se transformer. Elle peut devenir un moteur de résilience, d’innovation et de durabilité, même en temps de crise. » Ces mots de Samir Abdel Malak, directeur de Fair Trade Lebanon, ont donné le ton dès les premières minutes de la table ronde qui se tenait à l’Académie du Climat à Paris le 6 juin dernier.


Ce n’était pas une conférence classique animée par Benoit Berger et Julie Stoll, mais une table ronde engagée, conviviale, vivante, où les gens parlaient à hauteur d’humain. « Un chemin vert pour le Liban », c’est le nom donné à cette rencontre dédiée à un sujet dont on parle encore trop peu : l’agriculture libanaise.  Comment la repenser dans un pays en crise ? Comment produire autrement, en respectant les gens et la terre ? Comment faire de l’agriculture une force, et pas juste un secteur laissé de côté ?

Autour de la table, et en distanciel, se rassemblaient des scientifiques, des agriculteurs, des experts du climat, des personnes engagées dans le commerce équitable, mais aussi des membres d’institutions. Tous là avec la même envie : imaginer un futur plus juste, plus solide, plus durable. Et une certitude : sans terre, pas de souveraineté.

 

Revenir à la terre, et la respecter

Derrière le projet Tarik Akhdar — qui veut dire en arabe le « chemin vert » — se dessine un pari : celui de soutenir les coopératives agricoles locales pour changer de modèle. Moins de chimie, plus de savoir-faire, plus de lien avec les écosystèmes. Le tout porté par Fair Trade Lebanon avec l’aide de l’AFD et d’Île-de-France Coopération.

Mais au fond, ce n’est pas juste une histoire de techniques agricoles. « C’est une question de dignité, de souveraineté, de lien social », résume Juliette Grundman, de l’AFD. L’agroécologie, ce n’est pas une mode ou une théorie, c’est une vraie direction. Une façon de faire mieux, sans abîmer les sols ni gâcher les ressources. Pour cela, il faut du courage, du soutien, du temps. Et surtout, des gens qu’on accompagne dans la durée.

Aujourd’hui, avec la montée des températures, la sécheresse, et la crise économique, le temps presse. L’urgence est là, tangible, surtout pour ceux qui vivent déjà de la terre.




Une agriculture oubliée, un potentiel immense

Ziad Taan, Chargé d'Affaires a.i. - Ambassade du Liban en France, l’a rappelé : depuis l’indépendance du Liban, en 1943, l’agriculture n’a jamais été une priorité. Le pays a misé sur la finance, le tourisme, la médecine… mais a laissé tomber ses paysans. Résultat : 80 % de ce que mangent les Libanais vient de l’étranger. Et dans une situation économique aussi fragile, c’est un vrai problème.

Pourtant, le Liban possède des terres fertiles, un climat clément, et des savoir-faire agricoles ancestraux. Mais aujourd’hui, tout cela est fragilisé. Tournée deux à trois semaines avant l’événement dans le nord du Liban par les field officers de Fair Trade Lebanon, la vidéo diffusée en ouverture donne à entendre les voix de celles et ceux qui travaillent la terre. « Il ne pleut plus, il ne neige plus, les plantes ne poussent plus comme avant, et des insectes jamais vus débarquent », dit l’un d’eux, posant le décor d’une agriculture en plein bouleversement.

L’agro-climatologue Serge Zaka l’a très bien expliqué : le Liban fait partie des zones du monde les plus touchées par le changement climatique. Les étés sont de plus en plus chauds, les hivers plus secs, les pluies plus violentes mais plus rares. Et cela bouleverse tout l’équilibre de l’agriculture.


Des leviers concrets pour demain

Alors, que fait-on ? Une des réponses tient en un mot : le sol. « Un sol vivant, c’est un sol qui garde mieux l’eau, qui résiste mieux aux sécheresses », explique Serge Zaka. Il faut éviter de trop labourer, garder une couverture végétale, prendre soin de cette matière vivante que l’on a sous nos pieds.

Une autre piste, c’est la diversité. Dans la région de la Bekaa, où les agriculteurs sentent déjà fortement les effets du climat, beaucoup adaptent leurs pratiques, changent leurs cultures, testent de nouvelles méthodes d’irrigation. Mais dans d’autres régions, comme le Mont Liban, certains ne voient pas encore l’urgence. Ou bien n’ont pas les moyens de changer.

Parce que changer de modèle, ça coûte. Et aujourd’hui, avec un État affaibli, absent sur ces sujets, la question se pose : qui va financer cette transition ? « L’État », disent certains. Mais beaucoup n’y croient plus vraiment.


Le murmure en péril

Parmi les voix les plus touchantes, il y a celle de Dalida Darazy, entomologiste, qui a décrit le désarroi grandissant des abeilles. Entre les gels tardifs, les chaleurs étouffantes, les fluctuations extrêmes d’humidité et la raréfaction du pollen, ces pollinisatrices essentielles perdent leurs repères, et parfois la mémoire. « Il y a une sorte de perte d’identité, c’est comme une maladie d’Alzheimer », confie-t-elle. Leur agressivité, leur désorientation, leur infertilité croissante, leurs troubles comportementales et neurologiques sont autant de signaux d’alerte sur l’écosystème global.

Au-delà des chiffres, des constats scientifiques, c’est peut-être à travers ces récits du vivant que le message passe le mieux : le dérèglement climatique n’est pas une théorie, c’est une réalité quotidienne pour ceux qui cultivent, récoltent, pollinisent.

 

Une table, un moment d’espoir

La discussion s’est terminée comme elle avait commencé : dans l’envie d’agir, de trouver des solutions. Et cette envie, elle s’est aussi goûtée, au sens propre. Car la table ronde s’est conclue autour d’un buffet composé de spécialités libanaises : taboulé, houmos, zaatar, maamouls…  Une dégustation de produits “Terroirs du Liban”, issus des coopératives partenaires de Fair Trade Lebanon. Un rappel concret, savoureux, du lien entre agriculture, territoire et identité.

Manger devient alors un acte engagé. Comme l’a dit Sophie Tack de la WFTO : « Acheter autrement, ce n’est pas juste faire une bonne action. C’est changer les règles du jeu. »

Ce jour-là, autour de cette table, on n’a pas servi de belles idées toutes prêtes. On a montré une alternative possible et surtout nécessaire.

 

Cultiver malgré tout

Plus qu’un simple échange d’expert.es, cette table ronde a mis en lumière ce qui s’invente, jour après jour, loin des projecteurs : dans les champs, les coopératives, les réseaux citoyens. Ce qui continue de tenir bon, malgré l’effondrement économique, la crise politique et les chocs climatiques. Les intervenant.es l’ont exprimé sans détour : il ne s’agit pas seulement de produire ou de consommer autrement, mais de reconstruire du commun, à partir de ce qui existe encore sur le terrain : des compétences, des alliances, des désirs d’avenir.

À travers cette discussion, Fair Trade Lebanon a surtout rappelé une conviction : les solutions ne viendront pas d’en haut, ni de l’extérieur. Elles émergent déjà, au plus près du sol.



 

 

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