Au cœur du quartier industriel de Corniche el-Nahr, un grondement familier de machines s’est transformé en murmure créatif. C’est ici, dans les ateliers de l’entreprise Naggiar, qu’a vu le jour « The Lab » une nouvelle plateforme où le métal cesse d’être une matière brute pour devenir le médium d’un dialogue entre industrie, art et design. Le coup d’envoi de cette initiative se fera du 22 au 26 octobre dans le cadre de We Design Beirut 2025 lors d’une exposition réunissant onze artistes et designers.
Plutôt qu’un espace d’exposition traditionnel, The Lab se déroule dans un lieu vivant, une usine en pleine activité. Entre les étincelles du métal soudé et le vrombissement des machines, onze artistes et designers libanais ont investi le site, transformant cet environnement industriel en un véritable laboratoire d’expérimentation. L’idée n’était pas simplement de montrer des œuvres, mais de les concevoir, fabriquer et achever sur place, en collaboration avec les ingénieurs et artisans de Naggiar.
Ce concept inédit brouille les frontières entre processus et produit, entre atelier et galerie. Les visiteurs ne découvriront pas seulement des objets finis, mais aussi la matière en transformation, les gestes du faire, les sons du travail. Chaque création devient le témoin d’un dialogue entre main et machine, entre inspiration et contrainte.
Fondée en 1860, la maison Naggiar incarne depuis cinq générations un savoir-faire industriel libanais reconnu à l’échelle régionale. En ouvrant son centre de production aux artistes, elle affirme une vision nouvelle : celle d’un pont entre industrie et culture, où l’innovation technique nourrit la création esthétique. Le projet, porté par We Design Beirut, s’inscrit dans cette volonté de faire dialoguer les forces vives du design libanais autour d’un héritage industriel souvent invisible mais profondément ancré dans la mémoire du pays.
Les onze participants ont chacun exploré une facette différente de cette matière ductile et puissante. Charles Khoury a transposé son univers pictural dans une chaise sculpturale, fusion de geste et de fonction. Zena Assi, installée à Londres, a choisi de traiter le métal comme une métaphore de la migration et de la mémoire urbaine, entre fragilité et résistance. La légendaire Marie Munier a, quant à elle, transformé le laiton en lumière dans une sculpture lumineuse à la fois baroque et intemporelle.
Karen Chekerdjian, connue pour son approche conceptuelle du design, signe une console de cuivre et de laiton, à mi-chemin entre mobilier et poésie. Ihab Ahmad propose une table ludique, issue de son imaginaire coloré et enfantin, tandis que Joseph El-Hourany explore la mutation du bois vers le métal dans une œuvre monumentale. Wissam Melhem, Nayla Kai Saroufim, Missak Terzian, Nayla Romanos Iliya et Ghazi Baker complètent ce panorama foisonnant, chacun apportant une vision unique du rapport entre forme, mémoire et matériau.
Au-delà des pièces exposées, The Lab porte une ambition durable : celle de devenir un centre de prototypage et d’expérimentation ouvert aux créateurs libanais. Naggiar y voit un espace de rencontre entre designers, ingénieurs et artisans, un lieu où la technologie ne remplace pas la main, mais la prolonge.
Dans une période où le Liban cherche à redéfinir son avenir économique et culturel, The Lab by Naggiar incarne une idée forte : la création peut naître du métal, du bruit des ateliers, de la chaleur du travail collectif. Et à Beyrouth, plus qu’ailleurs, cette alchimie entre tradition et modernité prend une résonance particulière.