On ne présente plus ce grand musicien dont la carrière internationale se déroule entre l’Europe, le Liban et les pays du Golfe. Cet été, il est le directeur musical de l’opéra Carmen de Georges Bizet dans une production originale du Festival International de Baalbeck mise en scène par Jorge Takla. Il raconte à l’Agenda Culturel.
Il ne s’agit pas de votre première collaboration avec le Festival international de Baalbeck.
En effet, c’est la troisième fois que je me produis dans ce lieu magique, mais c’est la première fois que j’y dirige un opéra mis en scène avec tout ce que cela implique, comme jeu d’acteurs, chorégraphie, costumes, décors etc. Mes deux précédentes contributions étaient des oratorios en version de concert. C’est-à-dire que les chanteurs et l’orchestre sont devant le public et présentent une œuvre sans toute l’organisation que demande une mise en scène et sans la distance avec les chanteurs que crée la fosse d’orchestre. Il s’agissait de la Petite messe solennelle de Rossini et du Requiem de Verdi.
Quelle est votre vision de Carmen pour cette production ?
Proposer une représentation de Carmen dans l’imposante citadelle de Baalbeck, c’est établir un échange entre une légende lyrique et un lieu imprégné de mythes. C’est unir la voix de la bohémienne rebelle et indomptable au souffle éternel des pierres, pour honorer la force de l’art en action au sein du patrimoine. En tant que directeur musical, ma plus grande mission avec Carmen est de préserver l’intimité authentique de la partition de Bizet dans le cadre spectaculaire de Baalbeck. Carmen n’a pas été créée pour des arènes majestueuses. Bizet l’a créée pour l’Opéra-Comique, un théâtre de dimensions modestes où l’orchestre était restreint et où le lien entre les chanteurs et le public était presque tangible, émotionnellement immédiat. Depuis plus d’un siècle, Carmen a été érigée sur les plus grandes scènes lyriques du monde, souvent avec une ampleur wagnérienne qui peut-être ne correspond ni à son esprit ni à son écriture. Bizet cherchait à créer une atmosphère de drame parlé, où la musique soutient le geste théâtral avec élégance. Sa partition se compose de textures délicates et travaillées, même dans les moments les plus passionnés.
Vous avez donc la lourde tâche d’honorer cette délicatesse sans être écrasé par le cadre ?
Absolument, en permettant aux voix de s’exprimer sans effort, en laissant l’orchestre respirer et en l’aidant sans l’écraser justement, et en préservant la clarté cristalline et la transparence sensible de la musique. À Baalbeck, ce travail prend une dimension particulière. Il faut que chaque pianissimo survive au plein air, que chaque nuance trouve son espace entre les pierres anciennes, et que le souffle de Bizet circule avec la même délicatesse que dans la salle pour laquelle il avait rêvé cette œuvre. Même dans les explosions sonores les plus fortes, dans l’évocation éclatante du soleil espagnol, la musique reste d’une pureté et d’une transparence remarquables, tout comme la lumière dorée qui illumine les pierres anciennes de la ville du Soleil.
Votre défi consiste donc à préparer l’orchestre, les solistes et le chœur dans cet esprit ?
Oui, au niveau musical tout repose sur une vitalité rythmique alliée à une tension dramatique et il me faut essayer de mettre en avant ce battement de cœur qui traversera la scène pour toucher le public. L’orchestre pour moi est un narrateur qui raconte l’œuvre avec ses différentes couleurs, le thème du destin, les moments de joie, de peur de la mort. Je ne veux pas réduire Carmen à la séductrice comme elle est parfois présentée dans certaines productions, mais essayer de trouver toutes les facettes de ce personnage, sa sensibilité, son courage et surtout son désir de liberté. Don José est aussi un personnage très complexe, déchiré entre la passion et le devoir, ce qui finit par le mener à la violence. Escamillo représente le charme et la virilité et Micaela l’innocence et la candeur. Il est également essentiel que les ensembles de solistes, comme le quintette des contrebandiers, ainsi que les choeurs soient extrêmement homogènes.
Servir la musique au mieux tout en respectant l’aspect théâtral de l’œuvre est aussi un défi à accomplir en coordination avec le metteur en scène Jorge Takla ?
Bien sûr c’est un navire que les deux capitaines doivent mener à bon port ! Travailler avec Jorge Takla est une véritable bénédiction. Nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde et totalement en accord sur la vision de l’œuvre. J’apprends énormément avec lui.
Quels sont vos autres projets ?
Je suis en train de travailler sur l’opéra Rita ou le mari battu de Gaetano Donizetti que je dirige le 16 juin à Bucarest.
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