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NaTtakallam une entreprise sociale dans la tourmente Trump

MAG

10/09/2025|Zeina Saleh Kayali

Cette entreprise sociale qui depuis dix ans propose des cours de langue données en en ligne par des personnes en situation précaire, notamment des réfugiés, connaît de sérieuses difficultés à la suite des coupes budgétaires sauvages de Donald Trump, alors même que son modèle est justement la réponse au système Trump. Sa fondatrice Aline Sara explique comment et pourquoi à l’Agenda Culturel. 


Ces coupes budgétaires sont une première dans le monde de l’humanitaire ?

Absolument, et l’on n’a jamais vécu une situation similaire. Trump a posé des actes qui ont changé la face du monde humanitaire : il a décimé l’agence USAID qui finançait un grand nombre d’ONG, a coupé le peu de fonds sociaux et pour éducation qui existaient aux Etats-Unis, a supprimé le fonds pour le rapatriement des réfugiés, donc plus aucun réfugié ne peut entrer aux Etats-Unis etc. Ceci sans compter la question de la liberté de parole, bref c’est toute une mentalité qui change. L’état du monde sous Trump n’est plus le même. Ce qui est terrible c’est que l’on sait que ces fonds qui sont enlevés à l’humanitaire servent à financer des budgets d’armement.  D’ailleurs, en janvier dernier, le Global Risks Report du Forum économique mondial à Davos, a identifié les conflits armés entre États comme le risque mondial immédiat le plus pressant en 2025.


Qu’est ce exactement qu’une entreprise sociale ? 

C’est une entreprise, qui vend un produit ou un service mais dont le cœur de la mission a un impact positif sur la société. Ainsi, NaTtakallam vend des cours de langue et des traductions mais ses fournisseurs sont des personnes en situation précaire et notamment des réfugiés. Si nous disparaissons, nous mettons des centaines de personnes dans le désarroi absolu. Le but d’une entreprise sociale, à la différence des œuvres de charité plus classiques, est d’arriver à vivre de ses propres ventes, de s’autogérer et de devenir indépendante. Au Liban, vous avez Arc en ciel qui fonctionne sur un chemin similaire. 


Quelle est la différence avec une entreprise classique ?

Les entreprises classiques vivent pour maximiser le profit de leurs actionnaires, souvent au détriment des problèmes sociaux, de l’humanitaire ou de l’environnement. Leur but est uniquement de s’enrichir alors que l’entreprise sociale, tout en essayant de s’auto-gérer, doit pouvoir faire du bien autour d’elle, à travers l'atténuation des problèmes sociaux, le renforcement des communautés, la sauvegarde de l'environnement etc…


En dix ans d’existence avez-vous réussi à vous auto-gérer ?

Nous avons pu couvrir nos frais à soixante-dix pour cent et le reste est complété par des aides internationales, des fondations qui accordent des subventions au vu de l’impact humanitaire et social du projet. Notre but est d’arriver à cent pour cent d’auto-gestion. Mais aujourd’hui, avec la nouvelle administration aux Etats Unis qui s’installe, tout est remis en question. Le problème est que nos ventes aux ONG ont chuté car elles-mêmes ont perdu leurs financements. Les fondations donatrices ont réévalué leurs priorités en raison du schéma international et les fonds sont plutôt attribués vers la militarisation. Par exemple, NaTtakallam était sur le point de conclure un accord avec la fondation d’une grosse entreprise technologique américaine pour une donation de 200.000 USD et avec l’arrivée de Trump leurs priorités ayant changé, nous avons dû tout arrêter. C’est tout un état d’esprit qui bascule et c’est arrivé avec une soudaineté incroyable. Du jour au lendemain. 


Quelles sont vos alternatives ?

Tout d’abord continuer à promouvoir NaTtakallam afin d’encourager le plus grand nombre à utiliser ses services, donc continuer à grandir à travers nos ventes mais dans l’immédiat pour répondre à cette perte soudaine nous avons lancé une campagne de crowfunding, système totalement à l’opposé du principe des donations de grosses sommes de la part de fondations. C’est un moyen de financement où chaque petit don compte, car il se base sur le principe d’une foule de donateurs. Donc la moindre petite somme est importante. Bien sûr cela ne s’improvise pas, c’est tout un art et se travaille en profondeur. Aujourd’hui et vu que l’on ne peut plus vraiment compter sur les entités qui sont censées défendre les droits de l’Homme, sur l’aide internationale pour l’humanitaire, nous nous tournons vers nos réseaux, nos amis, nos familles. Ainsi individuellement nous pouvons y arriver.


Revenons à la genèse de NaTtakallam. Qu’est-ce qui vous en a donné l’idée ?

En 2014, en tant que journaliste libanaise expatriée, voulant couvrir les Printemps arabes, je n’avais pas trouvé un enseignement satisfaisant de langue arabe pouvant me correspondre. Donc il y avait un manque dans ce domaine. Par ailleurs, lors de mes études à Columbia University à New York, j’avais manqué une excellente opportunité professionnelle parce que je ne maîtrisais pas bien la langue arabe. En parallèle, dans le cadre de mes enquêtes, j’avais suivi beaucoup de jeunes fort éduqués qui demandaient la chute d’Assad en Syrie et qui à la suite de la répression, se sont retrouvés au Liban sans travail et sans avenir. Ce fut mon premier groupe de professeurs. 

La méthode était révolutionnaire pour 2014 ?

Proposer à ce groupe de professeurs de donner des cours d’arabe en ligne à des élèves du monde entier était tout à fait nouveau en 2014. Aujourd’hui et surtout depuis le Covid c’est complètement entré dans les mœurs. Cela leur a redonné leur dignité et a constitué pour eux une précieuse source de revenus. Le programme virtuel proposait alors des cours de conversation en dialectes du Levant. Depuis NaTtakallam s’est beaucoup développé. 


De quelle façon ?

Le tournant a vraiment eu lieu quand la photo d’un petit garçon syrien allongé sur la côte a fait le tour du monde. Ceci a été l’éveil du monde occidental sur le drame des réfugiés. Un bloggeur d’Arabie saoudite a alors découvert NaTtakallam et l’a partagé ce qui nous a donné un élan extraordinaire. Puis nous avons été couverts par le Huffington Post, nous avons gagné des prix et aujourd’hui nous sommes en mesure de proposer des cours de persan, de français, d’ukrainien, de russe, toujours selon le même principe que les professeurs doivent être dans des zones fragiles ou bien eux-mêmes déplacés, réfugiés ou demandeurs d’asile. Nous proposons également des services de traduction et d’interprétariat pour les conférences. 


Pour revenir à la menace Trump, elle se profile non seulement sur le plan financier mais à un autre niveau ?

Absolument et les conséquences en sont gravissimes. Je vous donne un exemple très simple. L’une de nos professeures, syrienne réfugiée en Jordanie où elle n’a aucun avenir et mère de quatre enfants, trouve, grâce à l’une de ses étudiantes un « sponsorship » qui lui permet d’aller s’installer aux Etats-Unis. Sa demande, acceptée sous l’administration Biden à la suite de plus de 2 ans de démarches administratives, est rejetée sous l’administration Trump. Et des exemples comme celui-ci, il y en a des centaines. Par ailleurs, une grande partie de nos clients sont des ONG à qui Trump a coupé les vivres. Ils ne peuvent donc évidemment plus avoir recours à nos services. 


Que faut-il vous souhaiter ?

De pouvoir surmonter cette tourmente et d’essayer de ne pas couler en nous tournant vers les citoyens qui, indignés par ce qui se passe autour d’eux, veulent se rendre utiles en participant au rétablissement de la justice humanitaire. Nous sommes déterminés à passer le cap et aller de l’avant plus que jamais dans un monde où chacun doit se sentir solidaire. Il y va de la vie, de l’avenir et de la dignité de milliers de personnes. 


 

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