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Riyad Ne’mah : peindre le regard, témoigner du monde

Art

10/09/2025|Nadine Nassar

Il parle doucement mais ses toiles nous interpellent. Riyad Ne’mah transforme les blessures en couleurs, la mémoire en visages fragmentés qui fixent le spectateur avec une intensité impossible à détourner. Son œuvre, caractérisée par des lignes lyriques et des sujets anonymes, mêle abstraction et intensité émotionnelle. Né à Bagdad, nourri très tôt d’une ambiance artistique, il inscrit dans ses toiles une histoire collective où chaque visage devient le reflet d’un destin commun.
Il expose à la galerie ArtScene du 13 au 28 septembre. Rencontre avec un peintre qui fait de chaque visage un témoignage.

Qui est Riyad Ne’mah, l’homme derrière les toiles ?

J’ai grandi dans une ambiance artistique. Mon frère peignait, j’assistais à son travail, et tout le matériel était là. J’ai créé ma première peinture vers mes 16 ans, un portrait avec soixante nuances de couleurs. Puis j’ai dessiné les cafés, les rues, les scènes de vie à Bagdad. J’allais dans les galeries, notamment au Centre d’Art de Bagdad, devenu un entrepôt où les œuvres sont entassées dans de mauvaises conditions. J’ai commencé par peindre de petites toiles, et mon art a grandi. L’université de Bagdad est venue plus tard, et dans mes voyages, chaque ville m’a apporté quelque chose : la Syrie, le Liban et sa liberté créatrice, et bien d’autres.



Que représente le titre de l’exposition en cours “Oversized” ?

Il est né d’une anecdote avec mon fils : je lui avais fait enfiler une veste militaire bien trop grande pour lui, et il a trouvé cela ridicule. De là m’est venue cette réflexion : pourquoi acceptons-nous qu’on nous impose des choses qui ne nous correspondent pas, qui sont trop grandes pour nous, qui nous dépassent ?


Les visages dans vos toiles sont fragmentés, comme en train de se dissoudre ?

Nous avons tous une attention sélective, elle peut se porter sur un visage dans la foule: un détail peut résumer une époque entière. Les traits fragmentés racontent l’histoire, la joie, la tristesse, les voyages. J’aime condenser les récits de vie, parler de la guerre, de l’épuisement d’une mère en montrant un seul visage, un seul objet, c’est l’éloquence, c’est simplifier, dire beaucoup avec peu. C’est ce que j’appelle de la rhétorique. 


Quel rôle joue le regard frontal des personnages dans vos toiles ?

Le regard est la partie indestructible de l’humain. Je me souviens être retourné à Bagdad en 2004, peu après la mise en place de la zone verte. Le gouvernement était séparé des citoyens, une division brutale. Dans mes toiles, ce regard direct, c’est celui du citoyen qui dit : j’existe, souvenez-vous de moi, je suis le pays, la ville, le courage. Chaque personne devient témoin et juge. Même dans les figures de soldats, je montre l’humanité enfouie.

Est-ce que vous pouvez nous parler du mouvement dans vos toiles ?

Dans mes toiles, j’enregistre le mouvement, de façon minimaliste, simplifiée en un seul geste, comme un mouvement des yeux. C’est une force de pouvoir résumer cela en une action. Lorsque je peins le silence, le vide, la non-existence, c’est une confrontation.


La poésie de Mahmoud Darwish traverse vos toiles. Comment vous inspire-t-elle ?

Mahmoud Darwish a justement écrit des poèmes sur la non-existence, sur le voyage sans fin. Les gens voyagent sans cesse à la recherche de quelque chose ailleurs, qui en réalité, n’existe pas, c’est une quête qui ne peut pas aboutir. Moi, je veux peindre le présent, il faut vivre l’instant. Ma peinture est une poésie visuelle, faite de silences, de gestes réduits, de regards fragmentés.


Comment décidez-vous qu’une toile est “terminée” ?

Dans une série de tableaux, c’est un équilibre intérieur qui marque l’achèvement d’une œuvre. Un tableau représente un moment, un instant. Une fois la toile achevée, ma relation avec elle se poursuit ailleurs. Chaque série correspond à une étape de ma vie, je m’inspire de tout ce qui m’entoure. Si l’inspiration me vient pour une nouvelle série de tableaux, je mets l’idée de coté pour y revenir lorsque je termine la série en cours. L’art est une révélation continue.


Pourquoi choisir des couleurs si vives pour des thèmes sombres ?

Je veux attirer le regard, surprendre. L’art est un langage visuel, il doit accrocher. Les couleurs vives rappellent que la beauté existe et peut surgir même de la douleur et du chaos. L’art dirige le regard, force l’œil à voir.
Je peins la réalité, ce qui traverse nos sociétés, la politique, la fragilité humaine, pour montrer la résilience qui est en chacun de nous.


Que représente pour vous la figure du clown tragique qu’on retrouve dans vos toiles ?

Nous sommes tous des clowns. Nous montrons au monde un visage souriant qui cache nos blessures, alors que nous souffrons, que nous sommes fatigués, et que nous portons une charge trop lourde. Même dans la faiblesse, l’homme a la force d’afficher un sourire. Je veux peindre la force et non la faiblesse. À l’intérieur de chaque personne, il y a un résistant, qui se lève chaque jour pour aller travailler, et qui veut continuer à avancer.


Peindre les autres, est-ce aussi vous peindre vous-même ?

Oui. Je suis comme ces gens, ils font partie de moi. Nous vivons les mêmes situations de guerre, de peur, d’anxiété. Quand je peins un visage anonyme, c’est un autoportrait fragmenté. Ce que je veux montrer, c’est notre force, notre victoire intérieure, malgré tout.



 

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