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Mémoires d’un enfant des années de guerre

LIVRE

25/11/2025

A l’occasion de la sortie de son livre “Achrafiéh (1975–1990) Mémoires d’un enfant des années de guerre”, Joseph Abou Rjeily répond aux questions de l’Agenda Culturel.

 

Qui êtes-vous, Joseph ? Comment votre parcours vous a-t-il conduit à l’écriture ?

Je suis né à Beyrouth en 1972 et j’ai grandi à Achrafiéh, au cœur des années les plus sombres de la guerre civile libanaise.
Mon enfance – comme celle de tant d’autres – s’est écrite dans les abris, à la lueur des explosions, au rythme des files pour le pain, loin de l’insouciance que l’on associe normalement à cet âge.

Professionnellement, je suis ingénieur en télécommunications, diplômé de l’USJ (Ecole Supérieure d’Ingénieurs de Beyrouth, ESIB), et titulaire d’un MBA de l’ESA. Depuis plus de vingt-cinq ans, je travaille dans la stratégie, la gouvernance et les télécoms. Aujourd’hui, je suis un consultant en stratégie des Affaires auprès du Ministre des Télécommunications du Liban.

Mais derrière ces responsabilités, il y a un homme façonné par une enfance que je n’avais jamais vraiment racontée.
Ce livre, c’est aussi l’enfant en moi qui prend enfin la parole.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Achrafiéh (1975–1990) ?

Pendant longtemps, j’ai porté ces souvenirs comme on porte des pierres : en silence, par nécessité.
Puis un jour, en regardant mes enfants – Emma Maria, Karl et Sienna – j’ai compris que je leur transmettais un pays sans leur transmettre l’histoire de ce que nous avions traversé.

J’ai voulu laisser une trace sincère.
Pas un livre d’histoire, pas un essai politique, mais un témoignage d’enfant, brut, sans filtre, comme la mémoire le garde.

Le quartier d’Achrafiéh, ses rues, ses héros anonymes, ses drames, sont restés en moi comme des échos persistants. Écrire, c’était une manière de leur rendre justice.

 

Comment résumeriez-vous le livre à quelqu’un qui ne vous connaît pas ?

C’est l’histoire d’une enfance confisquée, vécue dans un quartier devenu à la fois bastion, refuge et ligne de front.

À travers mes yeux d’enfant, le lecteur traverse :

  • l’explosion du stade de Chayla,

  • la mort de voisins héroïques,

  • les cinq frères Hage tombés un à un,

  • les fragments d’obus incrustés dans le corps d’amis,

  • les courses matinales derrière le remblai du Musée pour fuir les snipers et rejoindre mon école,

  • les nuits entières dans les abris, en priant que les murs tiennent jusqu’au matin.

  • et ma détermination inébranlable à décrocher mon baccalauréat, malgré des obstacles qui auraient pu briser bien des adultes.

Ce ne sont pas des scènes écrites pour choquer.
Elles sont écrites pour témoigner, pour redonner un visage à ceux que l’histoire a effacés.

 

Votre livre raconte la guerre… mais au fond, parle-t-il d’autre chose ?

Oui.
La guerre n’est que le décor.
Le sujet, ce sont les gens.

Ce livre parle de :

  • la résilience des familles,

  • la solidarité des voisins qui se transforment en frères et sœurs,

  • l’humanité qui survit même au milieu de l’enfer,

  • la force d’un quartier meurtri mais jamais vaincu.

  • et de la détermination farouche à poursuivre le parcours académique, même lorsque tout autour s'effondre.

C’est un récit où la mémoire individuelle rejoint la mémoire collective.
C’est aussi un hommage : à ma mère, à mes voisins, à mes amis d’enfance, aux martyrs oubliés, à tous ceux qui ont tenu Achrafiéh debout.

 

Qu’espérez-vous transmettre au public ?

Trois choses essentielles :

1. Que la guerre n’est jamais abstraite.

Elle se vit dans le corps, dans les nuits blanches, dans les cris que l’on n’oublie jamais.
Elle marque à vie ceux qui la traversent enfants.

2. Que la mémoire est un devoir.

Sans mémoire, un pays se répète.
Avec ce livre, je veux participer – modestement – à préserver une part de notre histoire intime, humaine, incarnée.

3. Que même dans les heures les plus sombres, l’espérance existe.

Dans un sourire, une main tendue, un voisin qui partage le peu qu’il a.
Cette lumière-là, personne n’a pu nous l’enlever.

 

Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent après avoir refermé le livre ?

Que derrière chaque événement de la guerre, souvent réduit à une ligne dans les livres d’histoire, il y a des vies réelles.
Des enfances brisées, des destins fauchés, des familles dévastées.

Je voudrais aussi que les lecteurs ressentent la force de ce quartier d’Achrafiéh, ses odeurs, ses voix, ses peurs, ses courageux anonymes.

Et j’aimerais qu’ils referment le livre en comprenant ceci :
Nous avons survécu, oui. Mais à quel prix.
Et il nous appartient de raconter, pour que cela ne se reproduise jamais.

 

Ce livre n’est pas votre premier. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos précédentes publications ?

En effet, Achrafiéh (1975–1990) est mon deuxième essai littéraire.
Mon premier ouvrage, Identités confessionnelles et nation libanaise : Histoire, fractures et perspectives, est paru en janvier 2025. C’est un travail de recherche approfondi où j’explore les dynamiques communautaires du Liban moderne, mais aussi les épisodes peu racontés de la formation du Grand Liban :
sa naissance comme identité collective,
sa construction comme entité constitutionnelle,
et les mécanismes de gouvernance qui ont façonné son destin.

Si ce premier livre plonge dans les profondeurs historiques du pays, Achrafiéh (1975–1990) s’inscrit dans un registre plus intime.
L’un repose sur l’analyse des structures politiques et communautaires ; l’autre sur la mémoire sensible d’un enfant confronté à la guerre.

Ces deux ouvrages, pourtant très différents, se rejoignent par un même fil conducteur :
la volonté de comprendre, de transmettre et de rendre visible ce que l’histoire officielle oublie trop souvent.

 

Votre formation est scientifique, et pourtant vous signez un récit profondément littéraire. Comment conciliez-vous ces deux univers ?

Je suis, en effet, de formation scientifique.
Les mathématiques ont toujours été pour moi plus qu’une discipline : une manière de lire le monde. Je m’en sers pour modéliser, pour comprendre, pour ordonner ce que j’observe dans la vie. Elles m’offrent une grille d’analyse rigoureuse, une logique interne, une structure qui m’accompagnent dans tout ce que je fais.

Mais cette approche scientifique ne contredit en rien ma passion littéraire.
Au contraire : elle la complète.

Car l’autre dimension de mon identité, la plus intime, la plus viscérale, est profondément ancrée dans la littérature française. J’ai été façonné par ces écrivains qui ont précédé et inspiré la Révolution française, par leurs valeurs humanistes, leurs combats pour la liberté, la dignité, la justice.
Ces valeurs-là constituent le cœur de mes convictions et de mon système de valeurs.

Ainsi, entre les mathématiques qui éclairent ma compréhension des choses
et la littérature qui éclaire ma compréhension des êtres,
je me situe à la croisée des deux :
un esprit rationnel, mais un cœur façonné par les mots, les idées et la mémoire.

 

Un dernier mot pour vos lecteurs ?

Ce livre est un acte de mémoire, mais aussi un acte d’amour.
Pour les miens.
Pour Achrafiéh.
Pour le Liban.

Si mon témoignage peut aider un lecteur à mieux comprendre ce que nous avons traversé, ou à raviver le souvenir d’un proche que l’histoire a laissé dans l’ombre, alors chaque page, chaque mot, chaque blessure revisitée aura trouvé son sens.

Le livre est disponible dans toutes les branches de la Librairie Antoine.
Il peut également être acheté en ligne sur le site de la Librairie Antoine, ou sur Amazon via le lien suivant :
https://www.amazon.com/dp/B0FPLS8CVC

 

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