Original, décalé, osé, étonnant, niché… Aux Journées du cinéma libanais au Canada, ce septembre 2025, parmi la quarantaine de courts-métrages proposés, un film muet, en noir et blanc retient définitivement l’attention, « Love Intense » se démarque ostensiblement. On peut y voir une femme qui balafre l’œil de son amoureux, le même œil qu’on retrouve sur une peinture dans son salon, alors que fourmis, araignées et mante religieuse sillonnent l’écran. Nous sommes en pleine ambiance surréaliste comme sortie des années 1930.
Son réalisateur, Raja Hanna, explique : « Le film est fortement inspiré du surréalisme où le symbolisme a une place importante : les insectes (araignée, mante religieuse, fourmis) veulent dire que quelque chose de mauvais va arriver ou signifier la dégradation du corps humain. Quand l’homme gagne aux échecs, à un moment donné, une mante religieuse apparaît, elle vient remplacer le Roi. Or la mante religieuse dévore le mâle une fois qu’elle s’accouple avec lui. C’est un film qui relate l’amour d’une femme pour son mari, d’un amour tellement fort qu’elle lui fait du mal pour mieux le contrôler… »
Le dentiste de profession qui consacre ses heures de loisir à l’écriture, la réalisation et la production de courts métrage esquisse un sourire à la question spontanée : « Mais pourquoi un film surréaliste ? » La réponse est tout aussi franche : « Parce que je suis un grand amateur d’art. J’aime le surréalisme. Il est synonyme de liberté et se permet tout. C’est le subconscient qui s’exprime. Ça a commencé par un hommage (développé en court-métrage) que j’ai voulu rendre au film « Un chien andalou » de Bunuel (et de Salvatore Dali), dans lequel l’homme contrôle la femme par son amour. Dans mon film, que j’ai voulu féministe, c’est l’inverse. Elle lui coupe l’œil, ce même œil qui se retrouve dans un tableau accroché. Ce qui signifie que celui qui est sensé voir, à perdu la vue contrairement au tableau qui n’est pas sensé voir, mais qui peut voir… »
Le cinéaste s’inspire du cinéma mais aussi de la photographie surréaliste : « J’y ai inclus la scène finale avec un masque, inspiré d’un tableau vivant d’une photographie de Man Ray, précurseur du mouvement dadaïste, qui représente une femme blanche qui pose auprès d’un masque noir. Le masque sert à cacher le visage mais aussi à représenter un autre être, différent de celui qui le porte. J’ai repris la scène. Dans mon film, quand la femme tue quasiment son homme, la lumière se rallume et son masque, à lui, réapparait alors avec son œil dedans.
À la question de savoir ce qu’on ressent après avoir réalisé ce film quand même assez déroutant en 2025, le jeune Libanais, installé à Montréal, s’en trouve rempli de satisfaction : « C’est un plaisir pour moi de refaire vivre le surréalisme et le dadaïsme, deux mouvements artistiques qui ont connu leur apogée dans les années 20 jusqu’au début de la seconde guerre mondiale mais qui, avec le temps, sont restés surtout cantonnés à l’art graphique. »
On peut se demander si le public suit. La réponse de Dr. Hanna est sans équivoque : « C’est vrai qu’il est difficile à saisir. J’ai été étonné qu’ils l’acceptent dans ce festival libanais. Tous les films en compétition parlaient du Liban, sauf le mien, qui était complètement ailleurs et de préciser en rigolant… ailleurs de tout. »Mais le passionné de cinéma ajoute : « Love Intense » a pris deux ans de travail, entre écriture, pré-production, production et post-production. Il a beaucoup voyagé et a gagné 17 prix, dont celui du meilleur film, de la meilleure actrice -très connue, elle a déjà tourné à Hollywood-, l’acteur est un ancien mime et travaille dans le cinéma muet … Il a été visionné par plusieurs milliers de personnes. Ce n’est pas une histoire linéaire. Il est un peu bouleversant.
Et par rapport à ces autres films ? « Night of Resolution », sorti en 2025, raconte l’histoire d’une mère qui annonce à ses trois enfants, la veille du jour de l’an, qu’elle veut divorcer. Il est en compétition pour le festival du court métrage à Prague, qui se déroule jusqu’au 21 octobre. Il a déjà obtenu plusieurs prix dont celui du meilleur scénario à Berlin, le prix de la meilleure actrice au festival du film indépendant de Montréal, de la meilleure production à San Diego…
Ce dilettante créatif, pourtant si professionnel a-t-il des projets qui concernent le Liban ? « Mon prochain film mélangera animation et documentaire. « Your name is … » est un drame basé sur une histoire personnelle, celle de l’explosion à l’Ambassade américaine en 1983. C’est le jour où ma tante y a perdu la vie. Ce n’est pas un film politique. Il aborde les effets familiaux de cette explosion et plus précisément l’histoire d’un enfant qui a toujours espoir que sa mère revienne. Les informations sont tirées des nouvelles de l’Associated Press de l’époque et le film d’animation est signé Rushit Patel. Sa sortie est prévue pour février-mars 2026. »
Nullement conventionnel, pourtant poétique et rudement créatif, Raja Hanna ne serait-il pas ce visionnaire qui nous invite à libérer notre pensée des contraintes du monde actuel ? En se basant sur l’absurde et la provocation, le surréalisme qui rejette les conventions esthétiques, sociales et politiques et qui permet de faire ce que l’on veut en rentrant simplement dans une autre dimension, ne serait-il pas une invitation à se réfugier dans le rêve et le désir pour rejeter le (semblant de) rationalisme et la logique (qui défie tout entendement) qui ont cours aujourd’hui ?