Avec Trumpets of Michel Ange, Ibrahim Maalouf rend hommage à son père, inventeur de la trompette au quart de ton, tout en ouvrant un chapitre de transmission à travers l’académie T.O.M.A. Artiste franco-libanais au parcours singulier, il sera le 13 septembre sur scène à l’Hippodrome de Beyrouth dans le cadre du Festival de L’Orient-Le Jour. Rencontre avec un musicien qui fait dialoguer héritage, identité et universalité.
Cet été, lors d’un séjour au Kerala, en Inde, une Française me confiait après avoir appris mes origines libanaises : « Oh Ibrahim Maalouf, je l’adore ! J’ai assisté à plusieurs de ses concerts, non seulement parce que j’aime sa musique, mais parce qu’il me donne un sentiment de liberté ! »
C’est donc par la liberté que nous commençons cet entretien. La sienne, et celle qu’il transmet.
Votre 20e album sort bientôt. Comment la liberté s’exprime-t-elle dans votre musique ?
Cette liberté, je l’exprime partout : dans mes choix artistiques et dans ma manière de travailler. Dans mon travail, je m’autorise toujours des choses qu’on m’avait dit de ne pas faire. Et systématiquement, j’ai aimé avoir cette liberté-là. C’est un choix de vie philosophique. Je produis, je distribue, je fais tout moi-même. Les gens sont surpris, mais comme ça fonctionne, je continue. Cette liberté est autant dans la forme que dans le fond. J’espère que le public la ressent aussi.
Vous avez trois enfants, Lily, Nael et Rita. La musique se transmet-elle aussi à eux ?
Oui, ils font tous de la musique. C’est la valeur numéro un en famille. La musique, c’est magique pour les enfants : elle les soigne, elle les apaise, elle leur permet d’exprimer leurs émotions. Pour les petits, on leur a mis une forêt d’instruments de musique, ils tapent, ils soufflent. On leur met des jouets mais aussi plein d’instruments. Ça redonne un sens au mot jouer. Lily, la grande, chante, joue de la guitare, fait du piano.
Vous venez d’achever la première partie de la tournée Trumpets of Michel Ange et vous dites que T.O.M.A. « c’est l’histoire qui raconte l’histoire ». Pouvez-vous expliquer ?
J’ai toujours évoqué l’invention de la trompette par mon père, mais je n’avais jamais détaillé pourquoi ni d’où venait cette inspiration. Cette fois, j’ai voulu raconter. J’ai montré une photo de la fanfare de Kfar Aqab datant de 1925, où l’on voit mon grand-père à 19 ans. C’est une histoire de transmission de génération en génération et cela donne de la valeur à ce qu’on fait, ça donne du sens aux choses
Quand on me demande pourquoi je joue de la trompette, je réponds que ce n’est pas seulement pour mon plaisir. C’est une histoire plus profonde, une histoire familiale, culturelle, historique. Mon but n’est pas uniquement de produire une musique belle, mais de donner du sens, d’inscrire mon geste artistique dans une continuité. Je voudrais montrer qu’il y a quelque chose de plus profond. Je tente de mettre des mots, des images, des sons à l’idée de cette transmission. C’est pour cela que je dis : c’est l’histoire qui raconte l’histoire.
Le 13 septembre, vous jouerez dans le cadre du festival de L’Orient-Le Jour, le quotidien francophone. En tant qu’artiste franco-libanais, comment percevez-vous aujourd’hui le rôle du français au Liban ?
Au Liban, le français recule, c’est vrai. Mais le lien avec la langue reste solide et profond. Même si extérieurement le français n’est plus « à la mode », cela ne veut pas dire qu’il a disparu. Les modes changent. La continuité culturelle et historique, elle, reste.
C’est la responsabilité de ceux qui ont reçu une éducation francophone de faire vivre cette double culture, même si elle n’est pas « trendy ». Il suffit parfois de peu pour inverser les tendances : une star francophone qui s’installe au Liban, un clip tourné en français à Beyrouth, et soudain, le français redevient à la mode. Notre rôle, c’est de rendre cette francophonie attractive.
Beaucoup de jeunes Libanais quittent aujourd’hui le pays. Vous-même avez connu l’exil. Que leur diriez-vous ?
Je comprends leur choix. Ils veulent un avenir sûr, sans vivre dans la peur. J’ai beaucoup d’amis musiciens qui sont partis et ça me fait mal. Mais je crois qu’il faut distinguer les conditions qui poussent au départ, et le long terme.
Moi, je fais l’inverse. J’ai racheté la maison de mon arrière-grand-père au village, je l’ai restaurée, et j’ai même acquis le terrain voisin. C’est mon mouvement de résistance. Et j’ai la chance d’avoir une épouse qui pense comme moi, profondément attachée au Liban. Nous connaissons la valeur de notre pays et nous y restons liés, malgré les difficultés.
Je crois qu’il ne faut pas grand-chose pour inverser la tendance. La diaspora libanaise, si forte, garde son cœur au pays, même à distance. Elle doit s’impliquer, financièrement et politiquement, pour que le jour où les conditions et le « déclic » du retour viendra, ce soit possible.
Parlez-nous de Kfar Aqab, votre village d’origine. Quelle place tient-il dans votre mémoire ?
Tous mes beaux souvenirs d’enfance sont ici. Et pour cela je remercie mes parents, parce que même pendant les moments difficiles de la guerre, avant notre départ pour la France, ils m’ont donné une liberté. Quand on était en France, on n’avait pas le droit de sortir mais, ici au Liban, sous les bombes, on pouvait sortir, rencontrer des amis. Ils étaient en confiance. Ils nous ont fait aimer Kfar Aqab (le village de mon père) et Ain el Abou (le village de ma mère) avec la liberté dont un enfant a besoin. Je n’ai que des souvenirs incroyables.
Le 10 avril 2027, vous serez à Paris La Défense Arena. Que préparez-vous pour cet événement ?
Je vais fêter mes 20 ans de carrière. J’ai eu la chance de fêter mes 10 ans de live en 2016 à l’Arena de Bercy. À l’époque, les gens me disaient que j’étais fou, inconscient, que l’Arena de Bercy est trop grande. « Tu es un trompettiste, pas une pop star. » Oui, mais j’ai un public et je voulais qu’ils viennent tous. Et on a refait cela deux autres fois.
Pour les 20 ans, on a décidé de mettre les petits plats dans les grands. Ça va être une fête incroyable. Il y aura beaucoup de surprises. Celles auxquelles on s’attend et celles auxquelles on ne s’attend pas !
Un dernier mot pour conclure ?
Je crois profondément au pouvoir des « petits quelque chose » qui changent des destinées. Ma grand-mère Odette, par exemple, n’a épousé mon grand-père totalement anglophone qu’à condition que leurs enfants soient éduqués en français. C’est ainsi qu’Amin Maalouf a grandi dans la francophonie. On connait la suite. Une décision d’une femme, et le cours des choses a changé.
En attendant qu’un « petit quelque chose » change la donne au Liban, Ibrahim Maalouf retrouvera son public le 13 septembre à l’Hippodrome de Beyrouth pour une soirée de musique et .....de liberté !