Une mélodie du bonheur à quatre mains, écrite par Helen et Carlos Eddé
Ils vous accueillent au cœur de la Békaa Ouest en toute simplicité : jean, tennis et sourires à la clé. Ici, pas de bodyguards ni de vitres teintées. Tout respire le bon goût, l’élégance tranquille et l’authenticité.
Je m’étais longtemps occupée de suivre la croissance des quatre enfants du couple à leur arrivée en 2001 au Liban, depuis leur Brésil natal. Ils m’avaient conquis chacun à sa façon, par leur douceur ou leur espièglerie. Les douces Andrea et Lucia vivent aujourd’hui à Sao Paulo avec leurs familles ; Raymond a tracé brillamment son chemin, tout comme Pierre qui faisait éclater de rire toute la salle d’attente à l’époque et qui a choisi aujourd’hui de retrouver ses parents au Liban pour les seconder dans leur belle aventure.
Retrouver la douceur d’Helen, l’humour pince-sans-rire et le parler franc de Carlos est à chaque fois un plaisir en soi.
Arrivé en politique à Beyrouth en l’an 2000 pour succéder à son oncle Raymond Eddé, dont le charisme et la vision lucide soulevaient des montagnes, à la tête du Bloc National — parti nationaliste, centriste et souverainiste — qui joua un rôle important dans l’indépendance du pays en 1943, défendant la vision d’un Liban indépendant, neutre et respectueux de la diversité communautaire.
Le jour même du décès de son oncle, alors qu’il atterrissait de Sao Paulo, Carlos est nommé nouveau chef de parti. Amid malgré lui, quasiment mis devant le fait accompli mais totalement acquis aux idées de son oncle, il n’a pas d’autre choix que de prendre la relève. Quelques semaines plus tard, Helen arrive pour le seconder avec les enfants et beaucoup de bonne volonté. Elle arrive à trouver ses marques avec finesse et élégance, privilégiant avant tout leur vie familiale dans une société dont les coutumes et traditions lui étaient totalement étrangères, et réussit à gagner tous les cœurs.
Dieu sait si être catapultée du jour au lendemain épouse d’un leader politique, dont le moindre geste était épié, la moindre virgule de discours guettée, est difficile au Liban, encore plus qu’ailleurs. Mais le couple, soudé par un amour inconditionnel depuis le premier jour de leur rencontre, contourne et triomphe avec grâce de tous les obstacles, trouvant un tempo bien mesuré entre samba et dabké ; feijoada et kebbé.
Plein d’enthousiasme, Carlos raconte, l’œil pétillant, cette terre qui l’a vu grandir jusqu’à ses 19 ans avant son départ en famille au Brésil, au début de la guerre civile au Liban. Il nous montre avec émotion les terrains de jeux avec ses cousins, les arbres témoins de ses premières escalades et nous fait cadeau d’une part de son enfance entre le Liban et le Brésil, pays de sa mère.
« Le Domaine date de 1870 et appartenait à Ibrahim Eddé, mon arrière-grand-père, qui l’avait distribué équitablement à ses neuf enfants. Une partie était revenue à mon grand-père Émile, à ma tante Andrée, à Pierre mon père et à mon oncle Raymond. Les hasards de la vie ont fait que, depuis mon installation au Liban en l’an 2000, la charge de tout diriger m’est également revenue.
Lorsque nous sommes arrivés ici, tout était en friche. Le bâtiment qui constitue notre maison aujourd’hui existait déjà et servait de logement aux gardiens des lieux et à leurs familles, mais avait été abandonné dans un piètre état. Il fallait tout refaire.
Avec l’aide de Jessie Kheir, architecte d’intérieur joliment inspirée, Helen a veillé à tout et insufflé un supplément d’âme à la résidence, remplie aujourd’hui de belles couleurs ocres et ensoleillées qui rappellent le domaine brésilien de Sao Paulo, où elle a grandi entre chevaux et plantations.
Dans ce vaste écrin veillé par le mont Hermon et les montagnes du Mont Liban, les Eddé décident de mettre progressivement sur pied divers projets totalement innovateurs dans la vallée, offrant à la clé de nombreux emplois à une population durement éprouvée par les diverses crises politiques et la crise économique.
L’installation d’une réserve animalière redonne d’abord vie à plusieurs espèces qui vivaient depuis des millénaires dans la Békaa et que la chasse non réglementée avait presque totalement décimées. Aujourd’hui, sur des milliers de kilomètres carrés, biches, cerfs, gazelles, mouflons et sangliers s’ébattent en liberté. « Grâce à l’aide de Fouad Nassif qui nous apporte son expérience et son précieux savoir-faire, nous sommes aujourd’hui à bientôt 400 têtes », et le nombre est évidemment amené à se multiplier.
Pour découvrir les autres projets, nous voilà sillonnant en 4x4 les chemins rocailleux de la propriété. Premier arrêt dans un enclos immense : une maison de retraite pour des ânes à l’âge avancé qui ont travaillé sur ces terres toute leur vie et qui prennent aujourd’hui une retraite bien méritée. Nous faisons ainsi connaissance avec Astérix, Obélix et Bonnemine, entourés de joyeux petits chiots jappant de tous côtés. L’ambiance est à la fête et Carlos distribue pain et caresses avec tendresse.
Un troupeau de moutons et de chèvres arrive en voisins pour se joindre à la liesse et c’est en éclats de rire que nous distribuons morceaux de nourriture et cajoleries. Plus loin, un lieu de repos pour chiens abandonnés et une maternité canine construite exprès a vu la naissance de plusieurs portées. Une première dans le pays. Les Eddé engagent plusieurs vétérinaires de la région pour venir soigner les bêtes recueillies et nourries avec soin.
Pause sérénité autour de l’étang du domaine pour contempler les premiers oiseaux migrateurs qui commencent timidement à se poser sur les berges dans leur voyage vers l’Égypte et le continent africain. Le silence invite à la méditation et les plants de vigne sauvage gorgés de grappes tout autour à la gourmandise. Carlos s’empresse d’en cueillir quelques-unes et de nous faire goûter ce miel ambré enfermé dans chaque grain gorgé de soleil.
Nous remontons en voiture et arpentons les plantations. Pruniers, poiriers et cognassiers se disputent la vedette le long de rangées bien alignées. Encore plus loin, des dizaines d’oliviers murmurent le projet de production d’huile d’olive à venir. La récolte s’avère prometteuse dans cette terre grasse et généreuse et il n’est nul doute qu’elle sera délicieuse.
Encore plus loin, divers cépages de raisins de cuve bien alignés : cinsault, merlot et cabernet sauvignon. Ils serviront à magnifier les grands crus du domaine voisin : ce château Musar dont la notoriété mondiale ne fait que se renforcer.
Des plants de raisins de table commencent à garnir également le paysage. Pour les accompagner, une fromagerie artisanale veille à la conservation de la production laitière. Plusieurs variétés locales de fromage y sont confectionnées tous les jours : le fromage blanc baladi, le halloum et le labneh, délicieusement maîtrisés.
Sur la terrasse de la maison, des feuilles de basilic sèchent sur des étamines et des paniers en osier, à côté de petits poivrons « bonbons » d’une douceur surprenante rapportés du Brésil par la maîtresse de maison et qui s’épanouissent à merveille dans leur région d’adoption. Une façon de participer à la « Mouneh », cette belle tradition de tout le Levant qui consiste à mettre l’été en bocaux pour l’hiver.
Un stop dans la savonnerie artisanale, dans laquelle, façonnés en formes diverses et décorés comme des moucharabiehs, les petits carrés et losanges exhalent avec soin des parfums de rose et de romarin qui se mélangent et finissent de nous enivrer. Chaque savon est étiqueté avec soin et porte sa date de production. Ici, on ne fait jamais les choses à moitié !
Nous terminons la visite avec Fawda, l’espiègle chat noir aux yeux verts sur nos pas. Étourdis de senteurs et de couleurs, nous reprenons la route, des images splendides plein la tête, totalement émerveillés par la démarche humaniste et fédératrice de ce couple discret et déterminé à répandre le beau et le bon.
Carlos Eddé a toujours été un homme de parole et d’actes concrets, loin des discours creux et des miroirs aux alouettes de la chose politique. À ceux qui critiquaient son arabe approximatif, il rétorquait sans se laisser démonter qu’il préférait parler vrai, avec ses mots et son accent à lui, plutôt que de débiter des mensonges dans une langue parfaite !
Secondé par une épouse engagée, à l’intelligence de cœur confirmée, dans ce coin du Liban, ils parlent à eux deux d’harmonie et d’espoir, exprimant leurs convictions à pleines mains, offrant perspectives d’avenir, biodiversité et projets de développement durable dans cette Békaa fertile et lumineuse, mais qui porte le poids de multiples blessures et de beaucoup d’épreuves. Aujourd’hui, avec Fazenda Eddé, elle est désormais porteuse de mille promesses.