Haush al Ghanam, la saga délice de Faysal Saab
04/05/2025|Noha Baz
Haush al Ghanam
Maison d’hôte maison-monde
La saga délice de Faysal Saab
Békaa, mai 2025
C’est l’histoire d’une maison de famille qui raconte celle du Liban, dans les sillons de sa terre grasse et généreuse, et l’illustre tous les jours, généreusement, dans ce qu’elle offre à voir et à goûter.
Une rencontre coup de foudre, il y a quelques années, constamment renouvelée depuis, qui continue de m’émerveiller totalement aujourd’hui ! Se poser quelques jours dans ce havre de paix, sur un tapis tissé de mille et une couleurs, vous reconnecte immédiatement à l’essentiel. Au rythme des saisons, le domaine de Al Haush accueille et raconte avec simplicité l’histoire de cette vallée nourricière de la Békaa et de l’agriculture libanaise.
Un pressoir à huile, témoin du passage des Romains, regarde passer le temps, terriblement heureux de se trouver au milieu d’oliviers millénaires, entouré de tellement d’amour. Une bouffée de printemps et d’espérance dans cette région.
À Haush el-Ghanam, vous vous réveillez au chant du coq, et c’est le chant des grenouilles qui vous berce le soir pour vous souhaiter une bonne nuit. Ici, pas d’écran télé : les jours sont rythmés par les saisons, et les merveilles qu’elles apportent occupent les heures.
La matinée commence avec la danse du zaatar : les feuilles séchées d’Origanum syriacum, ce thym sauvage typique du Levant, qui pousse ici en bouquets sublimes, sont travaillées d’abord au pilon, puis tamisées avant de s’unir gracieusement au sumac et au sésame. Petits et grands sont réunis autour de la jarre centenaire pour le confectionner et remplir les bocaux. Les parfums de zaatar remplissent la maison pendant que le pain saj est cuit minute.
Avec un peu d’huile d’olive du domaine, vous avez déjà capturé les parfums du Levant qui vous interpellent l’âme.
Ce rituel gourmand est accompagné, au fil des récoltes, d’ateliers confitures et de distillations menés par Nisrine Dirani, la fée des traditions de la mouneh. Hydrolats d’eau de rose, de verveine, de lavande, de sauge ou de sureau : vous finirez par toutes les connaître et en apprécierez les gammes gourmandes.
Faysal Saab, le jeune maître des lieux, et Sarah, sa très discrète et très élégante épouse, vous raconteront avec passion la tradition et la transmission d’un héritage gastronomique extraordinaire.
Vous grimperez ensuite dans des « trellas », tracteurs improvisés, pour aller déterrer les pommes de terre nouvelles, chahutant comme des enfants et, comme eux, criant votre émerveillement à la découverte des tubercules.
L’après-midi, vous irez plonger avec délice dans un océan de blé en herbe... Au rythme des épis, portés par le roulis du vent, vous tanguerez de plaisir. Les coquelicots vous feront de l’œil. Contentez-vous de les admirer, surtout ne les cueillez pas ! Ils piqueraient de la tête leur désarroi, dans ce musée du vivant, dans lequel la lumière vous offrira, au fil des heures, des tableaux aux mille nuances...
Ivres de grand air, vous vous attablerez à votre guise dans le salon d’hiver ou sur la terrasse d’été. Entourés de gravures de Farroukh, vous vous sentirez au milieu d’un livre d’images. Sur les murs, les poupées folkloriques habillées d’abayas chatoyantes vous parleront de Baalbeck et de son savoir-faire en matière de broderie et de tissus « tark », incrustés manuellement de paillettes d’or ou d’argent à l’aide d’un marteau en bois.
En admirant les trophées accrochés sur les murs, vous imaginerez les rires et les soirées autour de la cheminée. Vous voilà de plain-pied dans la famille et son histoire.
Côté terrasse, où vignes et rosiers s’entrelacent, vous avez pour horizon les montagnes de l’Anti-Liban où la neige, qui semble-t-il restera tenace cette année, a aligné des mèches bien ordonnées. Vue plongeante sur la mare aux canards, l’enclos des biches et les roucoulades des pigeonniers alentour.
L’essentiel de la vie est là, juste, simple, sans falbalas. L’après-midi s’allongera langoureusement et, le nez dans l’herbe, vous serez peut-être réveillés par la pavane d’un paon intrigué de vous trouver sur ses terres.
Côté table, une reine des abeilles enjouée et rieuse : Amale Saab, la mère de Faysal, vous rappellera la douceur des mets traditionnels de la table libanaise avec une cuisine maison des plus savoureuses : artichauts du domaine bien citronnés, fèves parfumées d’ail et de coriandre, frikeh au poulet et salades du jardin...
Avec les vins choisis par Faysal, vous comprendrez alors pourquoi Bacchus, en gastronome éclairé, avait choisi d’installer son temple juste à côté.
La visite guidée sur les pas de Khaled Saab, le seigneur de Haush el-Ghanam, est un privilège à ne pas rater. Vous écouterez, subjugués, la passion qui lui a fait rassembler pendant des années ce merveilleux cabinet de curiosités qui vous accueille dès l’entrée.
Après vous avoir arrosé les mains d’eau de rose, rituel de bienvenue obligatoire de la maison, il vous montrera un à un les objets qui ont écrit avec amour une autre histoire de ce pays. Une histoire agricole de paix et d’espoir, qui met en scène des hommes authentiques et généreux. Des hommes qui ont découvert des sources, creusé des sillons, planté des oliviers.
Ceux qui ont montré un chemin de joie malgré la traversée de famines et de souffrances. Ceux comme son père et ses frères, qui, en commençant l’histoire au début des années quarante, avaient douté, puis persévéré, construit et transmis.
Un voile de tendresse dans ses yeux azur et dans sa voix, il vous montrera la première machine à fabriquer les glaçons, celle à fabriquer sorbets et glaces, l’ancêtre du frigidaire et les outils du vétérinaire qui travaillait pratiquement plein temps sur place. Il vous nommera un à un ses compagnons d’enfance: les chevaux qui vivaient ici.
Ce n’est pas par hasard que le fer à cheval est l’étalon de la décoration des lieux, de toutes les couleurs sur le haut des portes et jusque sur les miroirs des délicieuses chambres d’hôtes.
Au chant du muezzin, vous serez envahi d’un immense sentiment de gratitude. Vous bénirez les habitants du lieu qui ont si généreusement ouvert leurs portes pour montrer la lumière d’un pays, faire connaître son terroir et transmettre avec qualité et élégance ses saveurs.
De retour chez vous, le cœur en joie, les yeux encore remplis des merveilles de ce coin de la Békaa, vous n’aurez, en quittant, qu’une seule envie : revenir.
Depuis l’ouverture du lieu, malgré les nombreuses crises qu’a traversées le pays, la maison d’hôte des Saab se renouvelle constamment, et Capitaine Faysal tient le gouvernail de main de maître. Mettant l’accent sur les produits du terroir, il offre dans la petite boutique du domaine mille et un produits qui vous feront patienter jusqu’à votre prochaine visite.
Tout est soigneusement fabriqué avec ce qu’offre la terre d’ici : gels douches et crèmes diverses à la lavande, à la verveine et à la camomille, avec des normes européennes et des parfums qui vous donneront l’impression, une fois rentrés à la maison, d’être en vacances toute l’année.
Ce soir, nous bavardons tranquillement autour d’un de ces nectars dont il a le secret...
Faysal, avec Sarah et tes parents vous avez mis sur pied avec un travail acharné cette maison d’hôte, lieu unique de transmission d’agritourisme au Liban peux-tu me dire quelle est la personne qui t’a transmis à toi plus particulièrement que les autres la passion de cette terre ?
Difficile de répondre simplement, car nous sommes chacun le produit de notre environnement. Mais s’il y a une figure qui a profondément marqué ce lien, c’est mon grand-père paternel. Je le revois encore goûter son huile d’olive crue, à même la cuillère, ou en trempant un morceau de pain markouk — un geste simple, mais presque sacré. Je me souviens aussi du” jmneich ” (la crème de lait cuite caramélisée ) qu’il mangeait tout simplement avec des œufs au plat … des balades que nous faisions ensemble dans les oliviers et les vergers… Ce sont des souvenirs d’enfance qui m’habitent encore aujourd’hui : les images, les odeurs, les goûts, les textures.
Mes parents ont aussi joué un rôle essentiel. Avec ma sœur, ils nous ont toujours encouragés à nous connecter au terroir, à participer à la préparation de la mouneh, qui pour nous était un festival des sens : éplucher, trier, sécher, goûter, entreposer … Chaque saison avait son lot de rituels. Ce sont ces expériences, ces gestes répétés, ces « cadeaux » de la nature que nous apprenions à connaître et à respecter, qui ont éveillé en moi une curiosité profonde pour les produits, leur origine, leur transformation. C’est là que le lien s’est renforcé. Et il ne m’a plus jamais quitté.
Côté goûts justement, quels sont les tiens côté cuisine ? Ton plat préféré dans la cuisine libanaise et la cuisine internationale?
Mon plat préféré ? ..Humm Franchement, il m’est difficile de choisir me confie-t-il dans un éclat de rire. Mon parcours m’a exposé à tellement de cuisines et d’influences que j’ai appris à apprécier des choses très différentes… mais avec toujours une même ligne rouge : des produits simples, de qualité, une palette d’ingrédients courte, et une vraie sincérité dans l’assiette. J’ai clairement un faible pour les plats ruraux, ceux qui racontent une histoire simple, sans prétentions.
Côté libanais, j’aime particulièrement des œufs au plat avec des asperges vertes sauvages que l’on trouve justement au Liban en cette saison (ḥalyoun هليون), sautées à l’ail frais, au sumac et à l’huile d’olive. Un délice ! Sur le plan international mon cœur balance entre deux coups de cœur : le bibimbap coréen — ce mélange de riz, légumes, œufs et pâte pimentée qui joue à fond la carte de l’équilibre — et le vitello tonnato, un plat italien fascinant qui marie avec finesse la viande et le poisson, le veau et le thon, la terre et la mer. C’est inattendu, mais quand c’est bien fait, c’est top.
Côté vinicole tu nous as émerveillé plus d’une fois par tes choix éclectiques. La vigne est une autre des tes passions.
J’aime tout ce qui est beau, bien fait, et porté par une vraie intention. J’ai toujours été attiré par ce qui est fait avec amour et avec sens — que ce soit un bon plat, un bon vin, un tapis persan tissé à la main ou une pièce de maroquinerie bien pensée. J’ai suivi un cours de vin dans le cadre de mon cursus universitaire, et me suis intéressé par curiosité (cette même curiosité qui me pousse à toujours vouloir comprendre le “comment” et le “pourquoi” derrière un produit de qualité!) Ce qui m’intéresse, ce n’est pas juste le résultat, mais tout ce qu’il y a derrière : l’histoire, le savoir-faire, les choix, les erreurs parfois, qui mènent à un objet ou un goût juste.
Qu’il s’agisse de nourriture, de vin, d’artisanat ou d’hospitalité, j’aime ce qui raconte quelque chose de vrai.
Peux-tu en quelques lignes nous rappeler ton parcours ?
Après un bac littéraire, j’ai poursuivi mes études à l’École Hôtelière de Lausanne, avec l’envie d’explorer le monde de l’hospitalité sous toutes ses formes. Mon parcours m’a ensuite mené vers la distribution de produits alimentaires pour le secteur Horeca, puis dans l’univers de la cosmétique et de la parfumerie. Ces années m’ont permis de vivre et de travailler entre l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Nord-Est et du Sud-Est — un véritable tour du monde des cultures, des marchés et des savoir-faire.
En 2014, la naissance de ma fille aînée, Ayla, a tout changé. J’ai ressenti le besoin profond de revenir au Liban, pour qu’elle — et plus tard sa sœur — puissent grandir dans un pays qui, malgré ses défis, reste incroyablement riche : par sa culture, sa diversité humaine et ses paysages. C’est ce retour aux sources qui a donné naissance à Al Haush, un projet de cœur, mêlant terroir, mémoire, et hospitalité.
Nous sommes totalement d’accord ! Ce sont très souvent les enfants qui nous donnent l’envie de transmettre et nous poussent à nous reconnecter à nos racines. As-tu des projets plus larges aujourd’hui qu’un vent d’espoir semble se lever dans le pays ?
J’aimerais surtout faire découvrir plus largement notre domaine et nos traditions. Nous mettons beaucoup de cœur à produire le meilleur de ce que cette terre de la Bekaa nous offre. Cela prend du temps, donc forcément ça reste encore à une petite échelle artisanale. Mon souhait c’est d’étoffer un peu plus notre gamme de produits aujourd’hui, de la rendre plus complète et accessible notamment en ligne, pour que ceux qui ne peuvent pas venir jusqu’à nous puissent quand même goûter un bout de notre terroir.
J’ai aussi en tête un petit restaurant, à l’esprit simple et vrai — “Kadoushé style”, (une petite bouchée !) comme on dit chez nous — qui serait naturellement lié à notre production du domaine. Un lieu où on pourrait goûter nos produits, les acheter, échanger… Un espace vivant, à la croisée entre la terre, la table, et le quotidien.
Même le plus dur des hivers a peur du Printemps. La Terre le sait et le répète ici allègrement. Vous repartirez de Haush el Ghanam le cœur et les papilles en fête avec un panier garni de confitures, d’huile d’olive, de mélasse, de tisanes, de miel de Zaatar et de fruits séchés tous proposés dans la petite boutique du domaine et bientôt en ligne.
Mais vous repartirez surtout avec l’impression d’avoir pendant quelques jours touché au divin. Il y a des lieux comme ça, Haush el-Ghanam est de ceux-là.
+961 76 884 474
Facebook page Al Haush
Instagram @alhaush
ARTICLES SIMILAIRES
Écrire, pourquoi ?
Ramzi Salman
04/05/2025
Rencontre avec Me Ziyad Baroud : « Paix et justice : Une mémoire pour l’avenir ? »
Lila Kasparian
30/04/2025
Rendez-vous avec soi-même
Ramzi Salman
30/04/2025
Venus Wine redonne de la valeur au vin par l’art
Briac Saint Loubert Bié
27/04/2025
Déjeuner chez Monsieur Dior
Noha Baz
25/04/2025
À table by Le Blanc : Un nouveau lieu de réception à deux pas de Beyrouth
25/04/2025
Agenda Culturel #610 du 23 avril au 19 mai 2025
24/04/2025
Les rendez-vous d’« Horeca » : rencontre avec Alan Geaam
Mathilde Lamy de la Chapelle
16/04/2025
Les rendez-vous d’« Horeca » : rencontre avec Guillaume Gomez
Mathilde Lamy de la Chapelle
16/04/2025
Les rendez-vous d’« Horeca » : rencontre avec Christian Heuline
Mathilde Lamy de la Chapelle
16/04/2025