Depuis Berlin, ville où la répression des gestes de soutien au peuple palestinien a été particulièrement brutale depuis le début du génocide à Gaza, Mazen Kerbaj poursuit un journal visuel quotidien. Du 9 au 12 juillet 2025, il exposera sa série « Gaza in my Phone » au Beirut Art Center, où se tiendra également le lancement de son livre éponyme le soir de l’ouverture.
“Je vous tuerai tous avec mon crayon ! » s’exclamait déjà Kerbaj en 2006, lors de l’agression israélienne sur le Liban, dans l’une de ses illustrations. Aujourd’hui, son engagement se démultiplie avec le génocide en cours en Palestine. « Gaza in my phone » ou en français, « Gaza, est-ce que vous nous voyez vraiment », est une série d’illustrations dessinées à chaud, un témoignage poignant noir sur blanc que nous livre Kerbaj entre le 9 octobre 2023 et le 15 janvier 2025. Il y consigne les nouvelles, les témoignages, les destructions, les pertes, et l’indicible souffrance causée par la violence humaine. Ce besoin de rendre compte des horreurs de la guerre n’a pas débuté le 7 octobre. L’artiste confie avoir achevé une illustration « prémonitoire » le 5 octobre, coïncidence saisissante qui inaugure un pan de sa production artistique. Invité en Slovénie pour effectuer une fresque murale de son choix, il dessine sur un mur de Ljubljana un jeune garçon Palestinien attendant debout, d’aller dormir. Il ne se réveillera pas. « C’est la preuve irréfutable que cela n’a pas commencé le 7 octobre » commente-t-il.
A l’ère du « scroll » infini et de l’émotion anesthésiée, dessiner pour Kerbaj c’est à la fois exorciser la douleur qui le tenaille en faisant défiler frénétiquement les images de Gaza sur les réseaux sociaux, et témoigner d’une insoutenable réalité sciemment ignorée par les grandes puissances qui se targuent pourtant de porter l’étendard des droits de l’Homme. A travers ses dessins, il mène son propre combat face à l’impuissance ressentie devant son écran et destine les recettes de ses créations à l’association Ghassan Abou Sittah Children’s Fund.
Directs et percutants, ses dessins accompagnés de slogans frappants sont eux-mêmes autant de missiles qui le rendent bien à l’ennemi. « Gaza in my phone », signifie pour l’artiste l’omniprésence de Gaza qui vit en lui et dans son téléphone, même lorsqu’il ne l’ouvre pas - « la violence alternée entre une publicité pour des soldes de Noël et des photos d'un ami en vacances à Hawaï rend fou », ajoute Kerbaj. Dans l’absurdité que provoque ce déluge d’informations, il dit dessiner pour « se sauver de la folie ». Relayées par des dizaines de milliers d’internautes, ses images sont conçues pour habiter l’espace public : imprimées, collées sur des murs, brandies lors de manifestations, elles deviennent des instruments de mobilisation, des supports de deuil ou de colère collective.
En opposant l’encre créatrice au feu destructeur, Mazen Kerbaj fait du dessin un arme de survie, un cri de résistance intime et collectif, « quand le canon tonne, le crayon est impuissant… mais l’art finit toujours par l’emporter dans la postérité » conclut-il.