En terre cuite, aux couleurs de l’argile, des oliviers, du ciel et de la tourbe, les deux vases de ma grand-mère. Si on les retourne, on voit marqué en grandes lettres et avec assurance « Palestine ». Ramenés de Jérusalem, là où il fallait aller, au moins une fois dans sa vie, avant la grande blessure. Avant 1948. Avant le début des malheurs. Avant l’innommable. Je les regarde chaque jour, ces vases de Palestine. Je ne sais pas quelle année a vu ma grand-mère arpenter les ruelles de la vieille ville, mais je sais que c’était avant l’indécente gifle donnée à l’histoire. La Palestine existe depuis des millénaires. On dit d’elle qu’elle était l’un des endroits les plus cosmopolites du monde dans lequel vivaient en bonne entente les trois religions monothéistes et plusieurs nationalités levantines. En tout cas je l’imagine verte, fertile, accueillante. Je l’imagine terre d’oliviers séculaires, d’orangers odorants, d’artisanats raffinés et d’épices merveilleuses. Je connais les broderies, les plats traditionnels et les instruments de musique. Je connais aussi les larmes qui ne tarissent pas, la souffrance qui ne faiblit pas et l’offense faite à la terre. Mais je ne peux pas y aller. Nous sommes les voisins. Nous avons ouvert nos bras à ceux qui ont été chassés de chez eux. Nous avons abrité leur immense chagrin et leur colère aussi. Nous avons épousé leur cause mais aussi subi leurs excès. Leur malheur aujourd’hui, encore, me brise le cœur. Et ceux qui parlent, analysent et désinforment tapent sur ma raison avec un marteau. À quel moment ce dérapage dans les croyances a-t-il été tellement acté ? À quel moment a eu lieu ce point de bascule où toujours la victime devient l’agresseur et le monstre la victime ? D’où sort « Le droit de se défendre », ces mots rabâchés à satiété par un occident archi manipulé qui ne sait plus voir la réalité même quand elle se trouve sous son nez. D’où vient cette certitude que cette terre est la leur alors que les oliviers racontent une autre histoire ? Habitués à sa violence, rompus à son sale jeu, nous savions nous qu’après Gaza, l’armée du peuple « élu » allait répandre sa hargne ailleurs. Et là, aveugle et sourd depuis trop longtemps, le reste du monde va payer cher son impardonnable lâcheté.
