Bien sûr que j’ai le cœur triste de les voir partir. Bien sûr qu’ils me manquent tout le temps même quand ils sont là. Là mais pas tout le temps là. Bien sûr que la maison est vide, muette et sourde, trop grande tout d’un coup. Mais bien sûr aussi qu’il y a la maison. Ce n’était pas gagné, loin de là. Guerres avec S, explosions nucléaires, hold up bancaire ravageur, crise économique majeure, virus virulent, horizon bouché, déprime collective, non ce n’était pas gagné. Mais elle est restée la maison. Celle qui a résisté aux orages et aux dragons. Celle qu’on a défendue, rafistolée, rebâtie, agrandie, fleurie. Celle qui va les accueillir chaque année. Celle qu’ils vont appeler Home. Celle à laquelle ils pensent quand ils ont froid. Celle qui les verra arriver à chaque vacances. Celle qui gardera longtemps leurs rires et leurs confidences. Bien sûr qu’on est en septembre. Bien sûr que j’ai le cœur triste de ne plus les voir. Mais je suis aussi très fière. Fière d’être de ces mères libanaises qui ont su préserver la chaleur, l’amour, la maison, l’esprit, la table dressée, les fleurs et les petits bonheurs. Fière d’être de ces mères libanaises qui savent tour à tour être maman, très maman, pas trop maman, réservoir de secrets, puits de tendresse et de courage pour eux aussi. Fière d’être de ces mères libanaises qui mettent de côté chaque noël, chaque été, soucis, angoisses et tracas pour rire encore avec eux. Fière de nous, génération de la guerre, parce que nous avons gardé encore au fond de nos cœurs brisés, fatigués et exténués, bienveillance et empathie, solidarité et enthousiasme, amour infini et bras grands ouverts. Nous avons préservé nos Home accueillants, nos maisons chaleureuses, l’esprit de famille et ils reviennent chaque année, nos enfants, avec maris, femmes et petits bébés et repartent avec les valises pleines à craquer de tout ce dont on est encore capables, nous les mamans libanaises plus fortes, bien plus fortes que tout ce qui nous est arrivé et de tout ce qui nous arrivera.