BUCHINGER
7h 06...
Le temps d’aller à l’infirmerie.
Comme chaque année je suis à Buchinger, la clinique où je perds des kilos et m’occupe de ma santé. J’ai dormi 8.6 heures. Ma moyenne habituelle est entre 4 et 5 heures. Une jolie différence.
Je me lève, je mets le peignoir blanc qui me donne un air de ‘patient’, je vais à mon portable, puis je m’arrête. Je me retiens de l’attraper. Je tourne la tête et je sors avec le sentiment héroïque de m’être départi de lui.
Je quitte la chambre et marche en regardant le décor. Libéré de mon portable , je regarde le bois vieilli d’une table, une balustrade en fer pas très jolie, une plante aux feuilles ébouriffées. Ce n’est pas Instagram, ni Tiktok. Juste des imperfections de la vie.
Buchinger est cher, mais il me catapulte loin de mon quotidien. Pour deux semaines au moins…
Mes amis me taquinent, ‘combien t’a coûté le kilo ?’. Ils ne savent pas que ce n’est pas une question de kilos mais une délicieuse récréation de la vie.
Le silence et la paix coûtent cher de nos jours. Marcher, nager, dormir, ce n’est pas offert.
Le vrai luxe ce n’est pas plus que ça.
C’est l’arnaque oui, mais une arnaque bienvenue. Et une bonne façon de jeter son argent … Deux semaines de retrouvailles avec soi-même.
J’arrive à l’infirmerie.
‘Hola, qué tal ?’, me lance l’infirmière avec un sourire éblouissant.
Elle m’a vu tant de fois qu’elle m’accueille maintenant avec chaleur...
Cette cure est une drogue dont je ne peux plus me passer.
Prise de tension, poids, pouls, elle inscrit mes exploits sur mon carnet de santé, et me laisse vaquer à ma journée.
Je monte à ma chambre déguster une seule cuillère de miel en guise de petit déjeuner sans toucher à la tasse de thé à l’odeur nauséabonde assise sur un plateau.
Je mets des habits de marche et je sors ...
Je dévale la colline, direction Puerto Banús, une marche d’environ trois heures, dix mille pas.
Je mets les écouteurs et j’écoute de la littérature. Y’a tellement de trésors dans la langue française que je resterai toute ma vie ignare. Plongé dans mon écoute, à un moment, j’oublie que j'ai des jambes. J’écoute et avance sans donner d’ordres à mes pieds... J’arrive sur la corniche.
Six mille pas plus tard, je sens mes pieds en flammes. Je m’arrête.
Je descends sur le sable, je me déchausse et je marche dans l’eau. Mes chers souffrants s’extasient … Je les refroidis en clapotant dans l’écume pendant un moment ... Je remonte sur la corniche.
Ici on a prévu des mini-douches pour les pieds des marcheurs/barboteurs de ma sorte. Je nettoie mes pieds du sable, les sèche au soleil, me rechausse et reprends la marche.
Dans mes écouteurs, il y a la philosophie; François Cheng, un Chinois débarqué en France à l’âge de vingt ans sans connaître un mot de français, devenu écrivain avec les années et ensuite immortalisé comme membre de l’Académie Française... son discours est fascinant ... il parle de l’âme, de la beauté, de la gloire d’exister ... j’oublie à nouveau mes jambes.
J’arrive au pont de bois, qui annonce l'approche de la fin de mon calvaire. Je rentre au port, je marche encore un peu et m’installe enfin à mon café habituel, en face des bateaux.
Je me gâte en commandant une bouteille d’eau, des glaçons et un café. Le garçon écoute ma commande un peu agacé comme à chaque fois, mais ce n’est pas grave je me dis; je lui laisserai un bon pourboire...
Je bois l’eau glacée, croque les glaçons, sirote le café. Je suis content. J’écoute, j’observe, je bronze. J’appelle ensuite ma femme pour lui faire part de mes exploits.
Après un repos mérité, je réussis à me lever et me traîner jusqu’au taxi. ‘Hola !’ lui dis-je, ‘Clinica Buchinger por favor!'
'Muy bien signor’ me répond-il et il démarre.
Le temps du ´déjeuner’ est arrivé;
Le fasting consiste en un bol de soupe à midi et un autre le soir. Deux cent cinquante calories au total, pas un iota de plus. Pas tout à fait ‘Imm Chérif’ ...
Je retrouve ma femme.
Je slurpe devant elle une soupe incolore.
Un autre café noir encore avec un verre d’eau et des glaçons, devenus mon dessert favori, et je monte à la chambre me mettre au lit.
Là, la nurse m’attend pour m’appliquer une bouillote chaude sur le ventre, côté foie. Ça s’appelle un ‘liver pack’. Ne me demandez pas pourquoi .
Je m’endors...
Après un somme nirvanesque, je mets un maillot et je descends à la piscine faire des longueurs, et m’assoupir sous le soleil d’Andalousie.
Je remonte à la chambre .. dormir encore… Vers dix-sept heures, je me réveille et me douche puis je sors pour une deuxième marche. À nouveau dix mille pas, mais celle-ci avec ma femme, une marche plus animée. On parle de rêves et de projets. Au crépuscule on rentre.
Vidés, mais contents.
J'avale les quelques calories de soupe qui me restent. Un verre d’eau aussi.
Ensuite fais une partie de scrabble avec ma femme. Puis une partie de bériba. Elle me bat. J’arrête la partie.
Il est neuf heures du soir, le temps de me remettre au lit...
Buchinger, c’est à chaque fois remettre les aiguilles de ma vie à leur place...
