Le spectacle Break a Leg, écrit et interprété par Nada Abou Farhat et mis en scène par Élie Kamal, poursuit sa représentation au Théâtre La Cité à Jounieh les 14, 15 et 16 novembre 2025. Ce choix de lieu, en dehors du centre de Beyrouth, exprime une volonté de décentralisation et de rencontre avec d’autres publics, dans un rapport plus direct entre la scène et la salle.
Révélée par Sous les bombes, film pour lequel elle a reçu plusieurs prix d’interprétation, Nada Abou Farhat s’impose aujourd’hui comme l’une des figures majeures du théâtre et du cinéma libanais. Son travail, toujours ancré dans la réalité sociale du pays, cherche à ouvrir des espaces de pensée face aux blessures collectives.
Dans Break a Leg, elle entre en scène assise dans une chaise roulante grinçante. Le bruit des roues impose un rythme calme, presque méditatif. De côtés, deux cannes qu’elle ira chercher pour se déplacer. L’image, simple et directe, résume la trajectoire du spectacle : comment réapprendre à avancer.
Elle raconte sa chute, survenue dans la rue à cause d’un regard d’infrastructure laissé ouvert. De cet incident, elle tire une réflexion sur la négligence urbaine, sur les dangers ordinaires et sur la responsabilité collective dissoute dans l’indifférence. Cette chute devient un plaidoyer politique et intime : son corps blessé incarne un pays tombé dans ses propres failles, rongé par l’injustice et l’oubli.
Les lumières accompagnent chaque tournant du récit, comme des éclats de douleur qui se dispersent en couleurs. Un écran projette le témoignage de visages anonymes, des corps tombés à leur tour, créant un écho collectif à sa propre chute : la guerre, l’explosion du port, la mémoire sélective d’un pays qui s’habitue à tout.
Mais Break a Leg n’est jamais dans la plainte. C’est une pièce qui rit. Nada rit d’elle-même — de sa ménopause, de ses contradictions — mais aussi des bling-blings du milieu artistique, des vendeurs d’herbe, et des « faiseurs d’acteurs » qu’elle égratigne avec tendresse. L’humour devient arme de résistance : en riant, elle se réapproprie son corps, son âge, son métier et son pays.
Dans la salle, une proximité rare s’installe. Le spectacle parle de toutes les chutes — physiques, morales, sociales — et du courage de se relever. « Cette chute est tombée à point », dit-elle. Il y a là le repos symbolique d’une femme qui cesse de courir et accepte de ne pas tout porter. La fin du spectacle respire une énergie lumineuse : celle d’une renaissance. L’accident, loin de la briser, l’a réalignée avec ce qu’elle veut dire, défendre et réparer.
Break a Leg est un autoportrait du courage, non pas héroïque, mais quotidien : rire quand tout tombe, transformer la douleur en parole. Le texte dépasse le récit personnel pour devenir miroir d’un pays entier, bancal, drôle, et magnifique.
Le titre, expliqué dès le début, reprend l’expression adressée aux acteurs avant d’entrer en scène : souhaiter un succès si fort que les applaudissements « cassent les chaises » de la salle. À la fin du spectacle, le public se lève, et les applaudissements frappent si fort qu’ils pourraient « casser la jambe » de la scène: Break a Leg n’est pas un vœu, c’est une promesse tenue.
La mise en scène, sobre et précise, suit la parole sans l’écraser. Les lumières dessinent l’espace, les projections — rues, visages, gestes du quotidien — prolongent le récit sans détourner l’attention de la comédienne.
À travers ce monologue sincère et engagé, Nada Abou Farhat transforme un accident intime en expérience partagée. Et confirme la cohérence d’un parcours : celui d’une actrice qui fait du réel un matériau de création, et du théâtre un lieu de lucidité bienveillante.
