Avec Anne Martin, la danse n’a pas d’âge
24/04/2024|Maya Trad
C’est une longue dame élégante et vive que nous avons pu voir danser le long des murs de pierre de l’ancien bâtiment désaffecté de l’usine Abroyan le premier soir du festival Bipod. Cette danse d’ouverture, comme un rite de passage nous a fait entrer de plein pied dans le festival. Ce solo, et le workshop que Anne Martin a donné le jour suivant « memory of a touch », sont une réponse à l’invitation de Mia Habis et de Omar Rajeh, qu’elle a eu la chance de rencontrer à Valence et à Lyon en novembre 2023. Alors que la programmation du Bipod était déjà quasiment bouclée, ils ont été conquis eux par elle, et elle par eux et c’est ainsi qu’Anne Martin s’est retrouvée transportée au Liban pour participer pleinement aux 3 journées d’un festival devenu aussi incontournable que nécessaire et qui a fêté cette année son 20ème anniversaire.
20 ans, c’est l’âge de coeur qu’aurait pu avoir Anne Martin si elle n’en avait pas 70 aujourd’hui. Son corps longiligne et son regard limpide portent en eux l’histoire d’un être qui a su garder tout au long de sa vie la capacité de s’émouvoir et de se mouvoir.
“Il y a un chemin pour chacun dans la danse”. C’est cette phrase de Rosella Hightower qui l’anime jusqu’aujourd’hui. « J’avais 20 ans quand je l’ai vue danser et ça a été une leçon pour toute ma vie »
Anne Martin rejoint ensuite la troupe de Pina Bausch en 1978 et y reste 12 ans, participant à la création de ses plus grandes pièces, comme “Kontakthof” pour ne citer que celle-là et reprend le rôle de Pina Bausch dans “Café Muller”. Elle nous raconte la manière avec laquelle Pina Bausch se livre avec ses danseurs à un véritable travail de construction de blocs et avance dans sa création au travers des questions qu’elle leur posait. « Cela pouvait prendre 6 à 7 semaines et on pouvait répondre jusqu’à 100 questions, comme par exemple d’utiliser nos propres gestes de tendresse, d’agressivité, de deuil, d’amour. C’était un moment ardu et difficile pour arriver à la forme finale et cela nous donnait une force dont on n’était pas conscients. Pina Bausch a choisi de travailler avec des gens qui étaient d’abord des êtres humains avant d’être des danseurs et enfin avec elle, j’avais l’impression de me retrouver à la maison, parce qu’elle laissait exploser les émotions, contrairement aux autres chorégraphes de son époque, et sa méthode permettait au haut du corps de se déployer pleinement ».
Avec la maternité, Anne Martin arrête la danse pendant 8 ans et se consacre ensuite à l’enseignement pendant 17 ans, au Conservatoire Supérieur National de Lyon de Musique et de Danse, dans lequel nous dit elle « les élèves m’ont appris autant que je leur ai appris ».
Et c’est en assistant au Making of d’un opéra baroque Hip Hop qu’un jeune danseur noir au cheveux décolorés fait jaillir d’elle des larmes et une urgence poétique à reprendre la danse à plus de 65 ans. Consciente de ne plus avoir la même physicalité qu’avant elle se demande quoi faire de toute cette force vitale et se lance dans la création de son premier solo, intitulé “Métamorphose” ou “Umwandlung” en allemand, pour parler de ces mutations profondes qui ne cessent de s’opérer en chacun de nous. Aujourd’hui nous dit elle « je danse comme je suis avec ce que je suis ». Elle qui avait peur de ne pas savoir rester authentique en dehors du regard de Pina Bausch, elle continue de déployer un talent auto alimenté par cette urgence de vie. Déplorant le fait que les danseuses âgées soient invisibilisées, mais soulevant toutefois le fait qu’aujourd’hui la tendance est de les remettre au-devant de la scène « Je voulais chercher des choses qui n’étaient pas connotées, j’avais beaucoup travaillé avec des musiciens iraniens et turcs, avec le souffle et le rythme, pour chercher à exprimer ce qui me bouge quand je n’ai plus rien à prouver ».
Mais à la voir si jeune et si vivace on se dit qu’elle n’a probablement en effet plus rien à prouver, sinon qu’elle est la preuve vivante que la danse n’a pas d’âge.
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