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Alors, Kifak Enta ?

MAG

22/08/2025|Katy Younes

Depuis quelques jours, je n’arrive pas à me débarrasser de “Kifak enta” (1). La chanson tourne en boucle dans ma tête, comme une obsession douce-amère. Avec mes sinus enflammés, je répète ses paroles à haute voix. Et je dois avouer que je savoure la petite basse rugueuse de ma voix sur les notes les plus hautes. J’ai écrit de fausses lettres virtuelles à Ziad inspirées par cette chanson, je les ai même partagées en story sur Instagram. Une tentative un peu absurde, peut-être, mais qui m’aidait à croire que la mélodie me quitterait. Mon père a fini par s’en mêler.. dès que je terminais un couplet, il reprenait au suivant, comme si nous rejouions ensemble un vieux disque.

Je n’aime pas la frénésie qu’il y a eu autour de Ziad. Même dans la mort, on trouve une faim de célébrité. La mort a une sacralité, une retenue nécessaire. On ne devient pas un plus grand artiste en pleurant plus fort que les autres.

Mais cette mort me renvoie à mon rapport au temps et à l’âge. Elle me fait penser à cette époque où j’étais assise à côté de mon père sur le chemin de l’école. Dans la voiture, le matin, la voix de Fairouz parlait des yeux d’Alia (2), et Ezzo chassait Antoun et Fawzi du café (3), sur le chemin du retour. Ces souvenirs me paraissent si proches, et pourtant, chaque jour, je regarde mes parents vieillir, leurs rides se creuser doucement sur leurs visages.

Et c’est là que les paroles de “Kifak enta” résonnent autrement, interrogeant l’absence, le temps écoulé, les vies qui se croisent puis s’éloignent. Comment allons-nous ? Nous qui prenons de l’âge, nous qui voyons ceux qu’on aime se transformer ? Je crois que, vieillir, pour nous les artistes, c’est sentir que les artistes de notre jeunesse disparaissent et comprendre que notre propre place change.

Pourtant, certains êtres ne meurent pas vraiment. Ils se maintiennent, presque comme des super-héros échappant aux lois ordinaires, à travers une mémoire collective qui refuse de s’effacer.

Alors peut-être qu’une chanson n’est jamais seulement une chanson. Un rappel que la musique a le pouvoir de relier nos histoires intimes aux grands mouvements du temps. Elle questionne notre manière d’évoluer, d’accepter l’absence. Dans l’absurde de la mort, elle laisse tout de même une continuité d’un héritage partagé qui circule d’une génération à l’autre.

Et pendant que j’écris tout ça, je me surprends encore à chanter un peu plus fort cette fois : “Ana w enta, malla enta”.



1)   Kifak Enta

 

2)    Aa Hadir El Bosta – chanson de Ziad Rahbani.
Version instrumentale jazzy appréciée.

3)    Sahriye – pièce de théâtre de Ziad Rahbani.

 

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