ArticlesEvénements
Aujourd'huiCette semaineCe weekend

Pour ne rien manquer de l'actualité culturelle, abonnez-vous à notre newsletter

Retour

Partager sur

single_article

Alfred Chidiac, l’architecte du bon chez Kenshō_concept à Beyrouth

MAG

02/10/2025|Noha Baz

Il troque régulièrement ses règles et ses compas pour des cuillères, des pinces et des couteaux et, en parallèle de son premier métier, poursuit tout en élégance sa quête de l’harmonie dans l’assiette.

Il se définit comme architecte minimaliste. C’est donc tout naturellement qu’il est interpellé, il y a quelques années déjà, par le Japon. Les lignes épurées, les matériaux naturels, la maîtrise des espaces et des volumes, doublées d’une ouverture à la nature dans l’art de la construction japonaise, font totalement écho à sa cuisine. L’équilibre y est essentiel et l’esthétique primordiale. Chaque élément trouve alors dans ses présentations sa place avec une précision millimétrée.
L’ensemble respire la douceur, invite à la sérénité, faisant totalement écho à l’élégance aérienne de la maîtresse des lieux, Nada Sehnaoui.

Dans des contenants choisis, vous voyez arriver des tableaux zen et équilibrés, vibrants de beauté. Prendre le temps de célébrer ici la délicatesse des gestes et la quintessence des saveurs est tout simplement une ordonnance bonheur !
Choisis avec le plus grand soin, traités avec mesure et délicatesse, les produits sont ultra-frais, de saison, souvent locaux. Alfred Chidiac les respecte, les sublime sans jamais les brusquer. Chaque bouchée est une expérience à la fois simple et bouleversante, une alliance rare entre technique, émotion et pureté.
Sa cuisine est un art silencieux, une poésie discrète. Elle touche par sa sincérité, surprend par sa justesse et laisse longtemps une empreinte dans la mémoire.



Ce qui m’interpelle en premier, c’est sa maîtrise totale de l’art de la fermentation, qui insuffle avec panache à sa cuisine une profondeur de goût rare.
Une patine subtile qui rehausse l’âme des ingrédients, avec à l’arrivée une partition pleine de caractère.

Notre rencontre se passe autour d’un joli bento préparé par ses soins. Le gingembre fermenté qui accompagne les tempuras en entrée est habillé d’une belle couleur rose, ode à la betterave de chez nous.


Cher Alfred, quel plaisir de trouver à Beyrouth un talent comme le vôtre ! Pouvez-vous nous décrire votre parcours et votre passion pour la cuisine que vous pratiquez avec tellement d’amour ?

Je suis architecte de formation. J’ai suivi le cursus de l’École spéciale d’architecture à Paris. C’est là où j’ai rencontré la maman de mes enfants, qui était installée à Bordeaux, ce qui m’a conduit, après avoir terminé ma formation, à m’y installer aussi.
Coup de foudre immédiat pour la ville dans laquelle j’ai d’abord travaillé pendant 15 ans dans un cabinet d’architectes, puis pendant dix autres années à mon compte dans ma propre agence ; ce qui m’a laissé beaucoup plus de temps pour découvrir tout ce que la ville offre de goûts et de beautés.
Nous habitions à Bordeaux, à côté du marché mythique des Capucins, et c’était un vrai plaisir d’aller écumer les stands, découvrir les saveurs et faire la connaissance de petits producteurs. Le Sud-Ouest de la France, et Bordeaux en particulier, sont de véritables joyaux côté terroir, aussi bien pour la vigne que pour l’élevage et l’agriculture.
Avec la naissance, en 2006, de ma fille aînée Yasmine, la volonté de « bien nourrir », qui me passionnait depuis toujours, s’est encore plus imposée et j’ai redoublé de curiosité pour le bon produit et le produit sourcé.

Pour ce qui est du lien entre l’architecture et la cuisine, c’est simple : les deux interpellent la créativité. Être architecte, c’est construire des lieux de vie. Être en cuisine, c’est marier des goûts, inventer des saveurs et des plats.


La différence est quand même le rapport au temps ! D’où, peut-être, votre attirance pour le fermenté, qui réconcilie les deux données, créatives et temporelles !
Vous êtes donc conquis à l’idée que la cuisine est culture et que l’éducation du goût est essentielle ?

Absolument ! Oui, j’ai une passion pour la fermentation qui fait partie également, au Liban, de notre quotidien, même si je la fais un petit peu différemment.
Et la cuisine, pour moi, est culture, absolument. Éduquer le goût se situe au même titre qu’encourager l’apprentissage de la musique ou de la peinture, etc. Mes deux filles, Yasmine et Salomé, sont fans de cuisine. Salomé, la benjamine, a une préférence pour la pâtisserie, et Yasmine aime plutôt les plats salés.

En 2013, nous avons décidé de quitter la ville de Bordeaux et de mettre le cap sur un cadre plus vert, dans l’Entre-Deux-Mers, pas très loin de Saint-Émilion.
Je me suis alors mis à cultiver mes propres légumes, une passion qui complète celle que j’ai pour la cuisine.
J’avais donc mon potager, mon poulailler, j’allais cueillir mes champignons, visiter des fermes d’élevage où l’on produisait du foie gras. Évidemment, la vigne faisait déjà partie intégrante de la région et m’amuser à imaginer des accords mets-vins était fabuleux !


Avez-vous suivi une formation culinaire ?

Comme je continuais mon travail d’architecte, je n’avais pas le temps de suivre une formation complète traditionnelle, mais j’ai fait plusieurs stages — on va dire des mini-formations sur quelques jours — à l’école Lenôtre et chez Ferrandi, en ligne et sur place à Paris.



Racontez-nous votre goût pour la cuisine japonaise, que vous sublimez si joliment en plein Beyrouth. Est-ce que l’architecture a été un tremplin vers le Japon ?

Le déclic pour la cuisine japonaise a eu lieu pour moi en 2009, avec l’ouverture à Bordeaux d’un restaurant japonais où la maîtrise des produits et des saveurs était absolument parfaite. Le chef y proposait un menu unique et faisait tout lui-même, comme je le fais ici : from scratch. Mais au bout de quelques mois, l’établissement a dû fermer. Je m’étais lié d’amitié avec ce chef et j’ai eu le bonheur de suivre ensuite, malgré la fermeture de son restaurant, plusieurs cours avec lui.
En tant qu’architecte, je me définis comme « minimaliste » et c’est là que le Japon devient intéressant, parce que tout, dans ce pays, se répond. Au minimalisme que vous trouvez dans les habitations fait écho une façon de se nourrir : des aliments et des préparations épurés, dans lesquels le produit est au devant de la scène.
À cette époque, je cuisinais encore pour m’amuser et tous les week-ends nous avions des amis à la maison, souvent à déjeuner une dizaine de personnes. Je me suis rendu compte que la cuisine était devenue pour moi une véritable occupation. J’ai senti que j’avais peut-être quelque chose à donner aussi sur ce terrain-là.
Il m’arrivait également de faire parfois, avec un chef ami, un menu à quatre mains dans un restaurant de la région. Avec une autre amie qui avait une guinguette sur le bord de la Garonne, nous avions organisé un jour un banquet libanais pour 180 personnes. Je pense que ça a été mon baptême du feu : servir deux plats principaux, plein de mezzés ; ça avait été une très belle expérience et je pense que c’est vraiment à ce moment-là que je me suis dit : « Bon, allez, je saute le pas ! »

De retour à Beyrouth, avec un investisseur, nous avons eu l’idée d’un restaurant appelé simplement « chez Alfred », dont le but était d’aller à la rencontre des convives, de leur demander ce dont ils avaient envie et de créer dans la foulée un menu sur mesure. L’idée était innovante, mais l’aventure s’est pliée au bout de quelques mois.
C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Nada Sehnaoui et l’idée du concept Kenshō. La résonance a été immédiate.


Je crois deviner votre passion pour le canard et ses variations en cuisine, à la fois française et internationale. Quel est votre plat préféré dans la cuisine libanaise ? Celui que vous aimez le plus préparer et transmettre ?

Effectivement, pour le canard, volaille vedette du Sud-Ouest dont j’aime toutes les variantes !
J’ai appris, au fil des ans, à l’accommoder dans toutes ses parties : magret, confit, gésiers, etc. Il sera bientôt à la carte de Kenshō.

Pour ce qui est de la cuisine libanaise, j’ai une vraie passion pour le kebbé arnabieh. J’en prépare une version très parfumée en agrumes et allégée en tahini.(On en salive à l’idée… ndlr.)

Goûter à la cuisine d’Alfred Chidiac, dans le cadre apaisant de Kenshō, vous donnera une seule envie : revenir !
Les goûts du miso maison, du gingembre et des légumes fermentés vous resteront inoubliables et vous aurez l’impression d’avoir approché l’ambroisie.

Vous reviendrez alors pour prendre le temps, apprécier l’instant, vous tenir un moment loin des bruits du monde, et « kenshoyer » sera définitivement inscrit dans votre dictionnaire amoureux de la vie !
Parole de Ziryab !


Kensho Concept Restaurant
Rue Alexandre Fleming, Mar Mikhael, Beyrouth
Réservations : +961 81 151 128
@kensho_concept



 

thumbnail-0
thumbnail-1
thumbnail-0
thumbnail-1
0

Depuis 1994, l’Agenda Culturel est la source d’information culturelle au Liban.

© 2025 Agenda Culturel. Tous droits réservés.

Conçu et développé parN IDEA

robert matta logo