A l’occasion des 20 ans de la fondation Al Mawred al Thaqafi, la directrice Helena Nassif répond aux questions de l’Agenda Culturel.
Comment est né le Mawred Al Thaqafi ?
Le projet Mawred Al Thaqafi est né en 2003, au Caire, à l’initiative d’un groupe d’activistes culturels et d’artistes qui souhaitaient créer un fonds pour soutenir les artistes émergents dans une région du monde où l’appui de l’État est quasi inexistant. Leur objectif était de rendre la culture accessible à tous, et non réservée à une élite. Dès les débuts, l’équipe a cherché à renforcer les échanges entre artistes du monde arabe en créant des ponts entre les communautés culturelles des pays voisins. Très vite, des festivals ont vu le jour, comme RedZone, dès le premier printemps du projet. Par la suite, plusieurs programmes ont été lancés pour soutenir la mobilité des artistes et la création de résidences artistiques favorisant les productions pluridisciplinaires. En peu de temps, Al Mawred est devenu une plateforme incontournable pour la production d’œuvres indépendantes et un tremplin vers la scène internationale. Il a contribué à faire émerger des artistes aujourd’hui de renommée internationale, tels que Tarek Yamani, Ali Chahrour, Mariam Saleh, Bshara Murkus, et bien d’autres. En 2005, Mawred a inauguré le théâtre El Genaina, au Caire, devenu rapidement un lieu phare de la scène artistique panarabe. En parallèle, l’organisation a mis en place des groupes de recherche et des formations en management culturel et en politiques culturelles, afin de sensibiliser les publics arabes au processus décisionnel et à la construction de politiques culturelles à l’échelle régionale.
Al Mawred s’est vite imposé comme une sorte de ministère panarabe de la culture. Pouvez-vous développer la vision des acteurs du Mawred ?
La vision de Mawred repose sur une conviction centrale : la culture est un outil essentiel de transformation sociale et politique. Les acteurs de Mawred ont toujours travaillé à partir d’une approche collective, démocratique et inclusive, considérant le travail culturel comme un levier pour plus de parité sociale, de justice, et de liberté d’expression. Au fil des années, l’organisation a cherché à décentraliser la culture et à la rendre accessible à toutes les couches de la société. C’est dans cet esprit qu’ont été lancés des programmes comme « Tunisie pour l’art » en 2015 ou encore le Master en management et politiques culturelles au Maghreb en 2017, destinés à démocratiser le savoir et renforcer les capacités des acteurs culturels locaux. Mawred s’est imposé comme une sorte de ministère panarabe de la culture, non pas par autorité institutionnelle, mais par la portée de son action et la force de son réseau. En encourageant la création collective plutôt qu’individuelle, l’organisation a contribué à poser les bases d’un écosystème culturel solidaire et indépendant, dans une région marquée par la fragilité des institutions publiques.
Quel changement s’est produit avec le déménagement du Mawred du Caire à Beyrouth ?
Ce déménagement n’a pas marqué une rupture, mais une nouvelle phase d’adaptation. Le Mawred a fermé des structures locales, pour se positionner de manière plus régionale. Toutefois, depuis le Liban, le Mawred est resté très proche du terrain, réactifs aux catastrophes que la région subit malheureusement. C’est en ce sens que le Mawred a poursuivi, pour répondre aux besoins urgents, en parallèle à la construction des programmes régionaux, ses programmes locaux ponctuels, notamment le « Stand for Sudanese Artists » aux artistes Soudanais, le « Lebanon Solidarity Fond » lors de l’effondrement économique libanais ou encore d’autres programmes, lors de la crise sanitaire du Covid-19, période durant laquelle il a activement aidé ceux qui souffraient des conséquences économiques et politiques.
Quel impact sur les politiques culturelles a pu avoir Al Mawred si l’on revient sur ces vingt dernières années ?
Sur deux décennies, Al Mawred a profondément transformé la manière d’envisager la culture dans le monde arabe. Il a contribué à ancrer la notion de politiques culturelles participatives, à former de nouvelles générations d’acteurs culturels, et à soutenir des initiatives régionales qui ont changé le visage du secteur artistique. À l’occasion de ses 20 ans, les 24 et 25 octobre 2025, le forum Living Fabric: Cultural Ecosystem reviendra sur les grandes orientations de Mawred pour les inscrire dans le présent et préparer l’avenir. Le programme explore les liens entre technologie, droits humains, éducation et environnement, tout en interrogeant la capacité du monde culturel à bâtir des écosystèmes de soutien réactifs et génératifs. Ces journées rappellent aussi la nécessité de se rassembler pour réfléchir et agir, notamment face aux guerres, aux révolutions et au génocide à Gaza, qui mettent en lumière la fragilité mais aussi l’agilité du travail culturel. Mawred continue d’affirmer l’importance de reprendre possession du pouvoir collectif, de faire confiance au travail commun et de soutenir un avenir centré sur l’humain, contre toutes les formes d’effacement, de censure et de domination.